Oubli de Sushma Swaraj: ​Fake News de la presse ou manipulation de Hurreeram?

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Temps de lecture : 4 minutes

« Fake news », prétend Bobby Hurreeram, le Chief Whip et également porte-parole du MSM, pas content de cette version selon laquelle la ministre indienne des Affaires Etrangères, Sushmita Swaraj, ait omis de présenter le Premier ministre mauricien, Pravind Jugnauth, l’invité d’honneur à la cérémonie d’inauguration de la 15ème édition du Pravasi Bharatiya Diwas (PBD), le colloque de la diaspora indienne. Le porte-parole du MSM s’est même évertué à en faire la démonstration en diffusant, durant sa conférence de presse, un extrait du discours de Sushmita Swaraj où elle fait mention de Pravind Jugnauth. Démonstration réussie ? L’exercice se résume plutôt en un plantage lamentable et une volonté de propagande qui ne recule pas devant la manipulation.

Le Chief Whip et porte-parole du MSM, Bobby Hurreeram
(Photo extraite du reportage IONNews)

Commençons par la chronologie de la nouvelle publiée à Maurice. C’est le Sunday Times, publication pro-travailliste, qui fait mention de l’incident dans un article publié le 23 janvier« PBD : Sushmita Swaraj omet de mentionner le nom de Pravind Jugnauth ! », titre le journal dirigé par Zahirah Radha.

Selon le Sunday Times, « Pravind Jugnauth n’a vraiment pas de la chance. Alors que la ministre indienne des Affaires externes, Sushmita Swaraj, introduisait les invités présents sur l’estrade à l’occasion de la 15ème convention du Pravasi Bharatiya Divas à Varanasi hier, elle a tout simplement oublié de mentionner le nom de Pravind Jugnauth. Pourtant, celui-ci y est présent comme invité d’honneur ! ». « Il a fallu qu’un officier intervienne au moment où elle s’apprêtait à quitter l’estrade pour qu’elle fasse amende honorable », poursuit le journal.

Courroux donc du porte-parole du MSM qui trouve qu’il y a « une presse » qui déverse « sa haine contre ce gouvernement ». Faisant donc jouer l’extrait du discours de Sushmita Swaraj, il prétend alors, grâce aux moyens technologiques du jour, établir la vérité : il donne à écouter la ministre des Affaires Etrangères qui présente Pravind Jugnauth. La démonstration de Hureram est rapportée par notre confrère IONNews : « Pour étayer ses dires, Bobby Hurreeram a joué une bande où l’on entend la ministre des Affaires étrangères de l’Inde saluer la présence de Pravind Jugnauth ». Réaction similaire chez notre confrère Ashwin Kanhye du DéfiMedia « Le porte-parole du gouvernement a montré une vidéo à la presse, où la ministre indienne des Affaires étrangères, Sushma Swaraj, a accueilli le Premier ministre Pravind Jugnauth, contrairement à ce qu’a fait croire une certaine presse ». Est-ce pour autant exact ?

Il faut d’abord faire ressortir que Sunday Times n’est pas à l’origine de cette nouvelle. D’ailleurs, ce journal n’a pas manqué de citer sa source : le quotidien The Indian Express. Mieux encore, l’hebdomadaire pro-travailliste publie l’extrait de l’article du quotidien indien où l’incident est relaté : « External Affairs Minister Sushmita Swaraj on Tuesday forgot to introduce Mauritius PM Pravind Jugnauth while introducing the speakers. Not just PM Narendra Modi and chief ministers, she also introduced Foreign Secretary Vijay Gokhale and Secretary of Overseas Indian Affairs D. Mulay on stage, but did not mention the chief guest ».

Du coup, l’histoire d’une presse qui déverserait sa bile sur le Premier ministre mauricien devient burlesque. La politique mauricienne, et le Premier ministre mauricien en particulier, intéressent peu, voire pas du tout, le quotidien The Indian Express. Mais peut-être que, par un improbable hasard, les travaillistes mauriciens auraient-ils tenté de planter l’histoire abracadabrante de cet oubli qui, sans qu’il ne soit un véritable incident diplomatique n’en est pas moins un impair embarrassant…
 
Mais non, le complotisme n’est pas à l’ordre du jour dans cette affaire. La manipulation, par contre, exsude de la version de Hureram. Quel est le procédé ? Le porte-parole du MSM a tout simplement diffusé le discours de Sushma Swaraj après que celle-ci soit revenue à l’ambon suite au rappel de son oubli par les fonctionnaires présents !
 
En somme, Sushma Swaraj a bien prononcé ses mots de bienvenu au Premier ministre mauricien, de même qu’elle avait omis de le faire initialement. Où serait donc le « Fake News » dans ce cas ? Bien entendu, dans la manipulation qu’a voulu en faire le Chief Whip !
 
Pourquoi nous choisissons de privilégier cette version plutôt que celle du Chief Whip ? Pour une raison évidente : la version reprise par le Sunday Times est corroborée par un autre titre sérieux de la presse indienne, en l’occurrence le Business Standard. En effet, Manavi Kapur, une jeune journaliste qui manie le sarcasme avec une maîtrise redoutable, a fait un reportage aussi factuel que cynique de la cérémonie de lancement de ce colloque. C’est de cet article d’ailleurs que nous avions cité pour évoquer le fait que Pravin Jugnauth avait à la fois charmé l’auditoire avec ses propos en hindi et en bhojpuri et qu’il l’avait aussi endormi !
 
Comment Manavi Kapur relate-t-elle cet incident ? Avec son humour corrosif bien entendu et bien adressé à Sushmita Swaraj : « So great was her enthusiasm in introducing Modi and members of her government that she forgot to introduce the chief guest all together – the prime minister of Mauritius, Pravin Jugnauth ».
 
Et après avoir passé la muleta, la journaliste plante les banderilles : « Swaraj had to make a quick dash back to the microphone to make amends. She established his connection to India by telling the audience about how Jugnauth’s family observes the navratri festival and eats no meat for those nine days » !
 
Le décryptage de cette histoire, néanmoins, ne nous montre pas seulement une tentative de propagande vague et anodine. On y trouve en effet, d’une part, un sombre personnage politique déterminé à jouer la manipulation des faits à des fins propagandistes. Mais, on y trouve d’autre part, une presse généraliste toute disposée à transmettre, sans vérification et sans même attribuer à l’auteur la seule responsabilité de ses propos – la citation entre guillemets est bien faite pour marquer cette distance – cette version contredite par des récits corroborés de deux journaux différents de la presse indienne.
 
A la fin d’une telle histoire, le lecteur doit pouvoir méditer sur une question fondamentale : Qui sont les acteurs les plus dangereux dans un exercice de propagande ? Serait-ce celui qui est à l’origine d’une histoire bidon ou plutôt ceux qui la propagent en la faisant passer pour vraie ?


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