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Qu’est-ce qui expliquerait la soudaine disparition du Metro Express de l’agenda des relais de propagande du gouvernement ? Pas seulement parce que, comme nous l’avons révélé, le passage du tram accentue l’embouteillage à partir du centre de Beau-Bassin. C’est surtout du fait que le programme des expropriations – « compulsory acquisitions » – n’est pas fini. Il va reprendre dès après les élections, engendrant de nouveaux drames humains. Un drame qui se prépare notamment du côté de l’avenue Sivananda à Floréal.
Après plus d’une trentaine d’années de service à la sucrerie de Rose-Belle, M. Boodhoo a placé le montant de sa retraite anticipée ainsi que ses économies dans la construction d’une maison donnant sur cette route très passante. Des économies, parce que M. Boodhoo ne s’est pas contenté de son travail à l’usine ; il est de ceux qui, nombreux, font un deuxième boulot pour pouvoir sortir du déterminisme social. Ainsi, après le travail, M. Boodhoo s’en allait cultiver des champs ; ce n’est pas avec la culture vivrière que l’on devient riche à Maurice, mais avec ce complément, il pouvait envisager sa retraite plus sereinement.
Sa maison à Floréal, il l’a eu finalement. Même si le terrain se trouve en bordure d’une route où la circulation ne s’arrête jamais. M. Boodhoo aurait même pu penser avoir tiré le gros lot quand ils ont installé le radar non loin de sa demeure. Les véhicules ralentissent et font moins de bruit dans un sens. Dans l’autre sens, il y a les reprises, mais elles s’effectuent un peu plus loin et il n’est pas autant affecté par la compression des moteurs au moment du changement de régime. Mais, ce répit n’allait pas durer : depuis deux ans, c’est la rumeur de l’installation du rail qui ne cesse de s’amplifier pour les riverains de la route Sivananda.
Depuis un peu plus de deux mois, la rumeur se précise de plus en plus. Ce ne sont pas seulement ceux qui sont sur la gauche, dans le sens Curepipe – Vacoas, qui sont concernés par ces expropriations, mais désormais ceux qui se trouvent aussi sur la droite de cette route. Précise, parce que des personnes se présentant comme des préposés de Larsen & Toubro sont venus dans les cours et les maisons. Il y aurait même eu des techniciens Indiens, selon M. Boodhoo qui nous dit avoir pu converser avec eux quand ils étaient dans sa demeure.
Ils étaient bien embêtés les techniciens Indiens ; après avoir pris les mesures, ils ont marqué l’endroit à exciser… C’est à la moitié du salon de M. Boodhoo. Et comme la maison est à étage, ce sont les chambres d’en haut aussi qui partent. Chez sa veille voisine, c’est le jardin qui part. Les enfants et petits-enfants de la vieille maîtresse d’école de New Grove aimaient s’y retrouver devant un barbecue en briques au milieu d’un abri de verdure. Bientôt ils n’auront qu’à ouvrir la porte de la mémé pour sauter dans le tram !
Mais en réalité cela ne prête même pas à sourire. L’expropriation pour ces vieilles personnes est encore pire que les drames rendus spectaculaires avec les bulldozers de la SMF à Bell-Village et à La Butte. Ainsi, au milieu de la conversation, M. Boodhoo prend un sac en papier et étale le contenu sur la table : c’est rempli de petits sachets de comprimés. Pour lui qui n’avait jamais été malade, se retrouver à l’hôpital marquait une étape dans sa vie.
« Doktèr dir mwa lékèr-là finn gaygn enn sok. Selman rezman mo for, lékèr-là finn tini », nous raconte-t-il. C’est le même son de cloche quand il s’en va solliciter l’avis d’un autre cardiologue dans le privé. Le vieil homme jusqu’ici en bonne santé, et vraiment bien conservé, doit ainsi, entre autres, prendre des anxiolytiques. « Mo pa dormi aswar, mo pans samem… »
Aucun courrier de Larsen & Toubro pour informer les riverains de la visite de leurs préposés. Encore moins des agents de la RDA. Absolument rien de la part de la municipalité ou du ministère des Terres. Avec les sous saoudiens, la technologie chinoise et le savoir-faire israélien en matière de surveillance des populations civiles, le régime totalitaire en place ne s’embarrasse pas des moyens.
Au-delà de l’aspect anxiogène de cette affaire, les riverains cherchent à comprendre ce qu’il en est véritablement. Mais, de toute évidence, on ne peut compter sur les autorités pour contribuer à la part de rationalité nécessaire pour que toutes les parties puissent s’y retrouver.
Une des familles de la localité s’est rendue à la police pour faire état des visites de ceux qui se sont présentés comme des préposés de Larsen & Toubro. Ils en ont fait part à la compagnie, l’informant qu’ils leur interdisaient l’accès à leur propriété.
Du côté de Larsen & Toubro, on nie toute intrusion sur la propriété privée. Leurs agents, affirme la compagnie, sont munis de pièces permettant de les identifier et ils n’ont pas été missionnés pour des mesures sur cette propriété. Alors, qui sont ceux qui se sont introduits dans les demeures et les propriétés des personnes de la localité ? Y a-t-il des escrocs à l’œuvre dans le quartier dont la police aurait minimisé la présence ? La police saura-t-elle élucider ce mystère ?
Entretemps, Nando Bodha, le ministre des Infrastructures Publiques et du Transport, a eu à répondre à une question de Dhanraj Boodhoo, son opposant du MMM, sur le sujet lors d’une émission de Radio Plus animée par Mélanie Valère. Le candidat Boodhoo explique lui-aussi que les riverains n’ont pas été consultés et qu’ils sont anxieux de leur sort. Nando Bodha, quelque peu agacé, va expliquer qu’il envisage d’y aller avec une « équipe de PR » quand tout le monde sera préparé avec toutes les réponses et il enchaîne avec son rêve de sortir Vacoas de sa torpeur avec une terminale qui accueillerait les maraîchers de cette ville.
Aucune consultation, aucune information aux riverains
En somme, à l’heure du bilan du ministre des Infrastructures Publiques, ceux qui sont censés fournir des explications ne sont pas préparés pour éclairer les riverains. Ces derniers, à qui les préposés d’on ne sait quelle entité ont invité à téléphoner à la RDA ont été réorientés au ministère des Terres où personne n’est au courant de ce qui se passe à l’avenue Sivananda !
Ce qui est clair, c’est qu’il y a, par contre, des personnes qui savent qu’il y a des mesures à prendre et des fouilles à entreprendre pour s’assurer de la localisation exacte du réseau de tuyaux jouxtant la route.
M. Boodhoo, pour sa part, nous dit qu’il se sent maintenant fatigué et découragé. Un peu plus tôt cette année, quelqu’un lui a proposé Rs. 13 millions pour sa maison. Il dispose de huit chambres et celui qui voulait acheter la maison voulait en faire une maison de retraite. Ce n’est pas la valeur de son bien qui fait sa préoccupation. Cette maison, il en est fier: il nous demande de chercher les craquelures; il n’y en a aucune, aucune malfaçon visible. Même si on lui paie le prix réel de la maison, il sera toujours embarrassé, dit-il. « Vous avez vu mon âge ? Vous pensez que j’ai encore le courage de me construire une maison ? », s’exclame-t-il.
Mais le plus dur pour ce vieil homme, comme pour tout le voisinage, c’est la méthode : celle d’une administration publique qui s’évertue à ne rien dire et qui soudainement investit les lieux, les cases et les cours et laissent les gens sans aucun recours. Quand l’administration publique use de méthodes de lâches, c’est le train de la désolation qui se met en marche… et la gouvernance qui déraille !