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L’empire Hinduja, l’un des plus puissants acteurs de l’Offshore mauricien
Le Tribunal correctionnel de Genève a prononcé en juin des peines de prison de quatre ans et demi et quatre ans contre les membres de la richissime famille indienne Hinduja pour « usure par métier ». Le tribunal a considéré que les employés de maison Indiens qui étaient au service de la famille Hinduja à Cologny percevaient des salaires dérisoires ; et même en tenant compte du fait qu’ils étaient nourris et logés, ils vivaient dans des conditions inhumaines toutefois. Ce dénouement juridique aura de très sérieuses répercussions à Londres où les Hinduja représentent la plus grosse fortune du Royaume-Uni, et à Maurice où ils sont parmi les plus gros acteurs du secteur offshore mauricien. Le jugement interpelle, par ailleurs, à un moment où le ministre mauricien des Finances a décidé d’enlever toute restriction au recours à la main d’oeuvre étrangère alors que les autorités mauriciennes demeurent incapables d’assurer le strict respect des droits des travailleurs étrangers.
Le patriarche Prakash Hinduja (79 ans) et Kamal sa femme (75 ans) ont été condamnés à quatre ans et demi de prison ferme. Leur belle-fille Namrata (50 ans) et leur fils Ajay (56 ans) ont aussi écopé de quatre ans de prison ferme. Tous étaient accusés d’avoir exploité du personnel de maison durant une dizaine d’années, notamment entre 2006 et 2018. Aucun d’entre eux n’a assisté à l’audience de jugement. Les avocats de la défense ont annoncé dans un communiqué qu’ils faisaient appel, affirmant que : « La famille a pleinement confiance dans le processus judiciaire et reste persuadée que la vérité triomphera ».
La famille Hinduja a essayé d’arranger l’affaire avec les plaignants, et est parvenue à un accord le vendredi précédant le procès (14 juin 2024), soit six ans après le dépôt de la plainte civile. Les détails de l’accord, comme c’est habituellement le cas pour les arrangements hors tribunaux, n’ont pas été divulgués jusqu’ici. Toutefois, même si l’accord avec trois des plaignants ait conduit à l’abandon des poursuites civiles contre eux, les autorités suisses ont estimé que les délits étaient d’une nature pénale suffisamment sérieuse pour le maintien du procès contre les Hinduja.
Selon le Ministère public suisse, ce procès est celui d’une famille multimilliardaire qui recrute du personnel en Inde pour le payer au compte-gouttes : « Et les prévenus, qui n’assument rien, ont tout fait pour échapper à ce procès », selon Me Yves Bertossa qui a aussi rappelé la «situation asymétrique » de ces personnes qui n’avaient pas d’autres moyens de survie. Face à eux, il y avait la famille Hinduja, une des plus puissantes d’Inde: « on profite de la misère du monde », a-t-il lancé aux prévenus.
Il avait requis une peine privative de liberté de 5 ans et demi à l’encontre du père, Prakash Hinduja (78 ans) et de son épouse Kamal (75 ans), tous deux absents pour des raisons de santé depuis le début de ce procès sous haute tension, et de quatre ans et demi à l’encontre de leur fils Ajay (56 ans) et de leur belle-fille Namrata (50 ans). Une peine de trois ans, avec sursis partiel, a aussi été requise à l’encontre du comptable de la famille, également sur le banc des prévenus, pour complicité.
Le tribunal correctionnel de Genève a considéré que les employés Indiens de la famille Hinduja dans leur villa de Cologny percevaient des salaires dérisoires, même en tenant compte du fait qu’ils étaient nourris et logés. Leurs passeports étaient détenus par les Hinduja et leur liberté de mouvement était réduite. Ils dormaient dans une pièce au sous-sol de la maison, sans lumière du jour et qu’on ne pouvait aérer qu’en ouvrant la porte.
Abus de faiblesse caractérisé
Au procès des quatre membres de la famille Hinduja accusés de traite d’êtres humains et d’usure par métier à Genève, le Ministère public a donc prononcé un réquisitoire sévère. Il a demandé des peines de prison allant de quatre ans et demi à cinq ans et demi. Outre la peine de prison, le premier procureur a aussi demandé de prononcer une créance compensatrice de 3,5 millions de francs en faveur de l’Etat de Genève. Il justifie cette requête par le fait que l’accord conclu entre les parties ne dit pas un mot des salaires qui n’ont pas été payés. Il a aussi demandé de mettre les frais de procédure, soit un million de francs, à la charge des prévenus. La défense a plaidé l’acquittement.
Le tribunal correctionnel n’a pas retenu la charge de traite d’êtres humains, les juges considérant que les employés n’ont pas été contraints de venir travailler en Suisse et qu’ils savaient à quoi s’attendre en se rendant sur les bords du lac Léman. En revanche, les juges estiment que la famille Hinduja a abusé de manière caractérisée de la situation de faiblesse de ces employés indiens.
Le salaire des employés de cette famille de milliardaires était versé en Inde en roupie indienne et s’élevait entre 220 et 400 francs par mois (325 francs en moyenne par mois). Ajouté aux avantages en nature, il oscillait entre 1 000 et 1 400 francs. Le tribunal estime que par rapport aux usages en Suisse, cette disproportion de salaire est « extrême ».
D’après le calcul du tribunal correctionnel, en exploitant leur personnel domestique indien de la sorte, notamment en leur payant 8 dollars pour 15 à 18 heures de travail, les Hinduja ont pu s’enrichir de 2,5 millions de francs sur une période allant de juin 2009 à avril 2018.
Traitement salarial inférieur aux dépenses pour le chien
Lors de son témoignage au cours du procès, Ajay Hinduja avait déclaré ne pas avoir une connaissance approfondie des conditions de travail du personnel, car leur recrutement était géré par le groupe Hinduja en Inde.
Le premier procureur Yves Bertossa a débuté par une comparaison: selon le budget de la famille, qui vit dans une villa à Cologny, le montant dépensé pour les animaux de compagnie en 2014 était de 8 584 francs. Ce qui le poussait à constater que « Dans cette famille, on dépense davantage pour le chien que pour les employés domestiques. Ils ont fait tout ça pour économiser du fric ».
L’avocat des Hindujas, Me Romain Jordan, n’a pas spécifiquement nié l’implication de la famille dans la gestion du personnel mais a accusé les procureurs de partialité, soulignant que d’autres familles ne seraient pas confrontées à un traitement similaire. L’avocat a, en outre, rejeté les allégations de journée de travail de 18 heures comme étant exagérées et a fait valoir que la rémunération du personnel comprenait le logement et les repas.
La famille Hinduja, selon l’évaluation Forbes, est la septième plus riche de l’Inde avec une valeur nette estimée à environ 20 milliards de dollars. L’avocat de la famille, a déclaré à Forbes que l’accusation pénale était « excessive ». « Aucune autre famille n’aurait été traitée de cette façon. Nos clients sont déterminés à se défendre et ont confiance dans le système judiciaire », a-t-il déclaré.
Mauritius Connection
Les intérêts des Hinduja à Maurice s’expliquent aujourd’hui par leurs activités dans l’Offshore mauricien. Selon nos informations, la juridiction mauricienne abrite plus de 15% de l’actionnariat de l’IndusInd Bank, une banque gigantesque fondée en 1994 en Inde sous le régime financier spécial de « New Private Sector Banks ». Cette méga-banque indienne opère par le biais d’au moins deux « promoteurs » mauriciens, en l’occurence la IndusInd International Holdings Limited et IndusInd Ltd.
Au-delà de ces deux éléments inscrits dans l’Offshore mauricien, la famille Hinduja est aussi propriétaire du conglomérat Ashok Leyland dont les revenus se chiffraient à plus de USD 4 milliards l’année dernière. Là encore, Ashok Leyland dispose de plusieurs sociétés d’investissements qui opèrent dans de multiples secteurs liés à l’automotorisation, (allant des chaînes de production des véhicules de cette marque, au marketing de ceux-ci et les sociétés de prêts et de leasing desdits véhicules, ainsi que les assurances). Les Hinduja ont aussi doté la filiale Ashok Leyland d’un bras supplémentaire dans le secteur de la technologie avec, encore une fois, d’autres sociétés qui sont autant de véhicules d’investissements orientés cette fois vers l’Afrique. C’est cette partie des finances liées à la technologie qui passe par l’Offshore mauricien pour les investissements du groupe en Afrique.
Les Hinduja auraient pu aussi se retrouver détenteurs de la Brammer Bank qui leur aurait été proposé pour 100 millions USD. Mais les conseillers juridiques et financiers ne sont pas de la même veine que les Roshi Badhain, Pravind Jugnauth et autres Dev Manraj et Bhinod Baccha. Le deal ne se fit pas parce que ceux qui conseillent le groupe Hinduja savent faire la différence entre le rachat de passifs et des investissements véritables. Parce que le passif n’est pas seulement constitué des créances courantes, soit les 100 millions de dollars qui leur furent proposés, mais il s’agit aussi de tenir compte de la responsabilité civile où il est fait obligation de réparer les dommages causés à autrui. Et, cette question est loin d’avoir été réglé avec Dawood Rawat qui s’est vu déposséder de ses biens suite à un séisme systémique survenu sur des failles politiques.
Au-delà de ces considérations, la relation des Hinduja avec Maurice démarre dans des conditions tragiques quand l’argent, l’orthodoxie religieuse et le pouvoir se liguent pour s’opposer à l’amour de deux jeunes personnes. En effet, en 1992, Dharam Hinduja (dont la famille est Sindh, des hindous du Pakistan) qui avait épousé secrètement Ninotchka Sargon (dont la famille Parsi est catholique), s’immolait dans une chambre d’hôtel et sa jeune épouse échappant de justesse à ce sort tragique.
Dharam Hinduja, qui avait été exilé par sa famille de milliardaires en Inde, avait essayé d’échapper à ses proches toxiques. Mais alors qu’il était en transit à Maurice, avec son épouse venue le rejoindre de Paris, le jeune homme considérait qu’il n’y avait plus d’issue pour rejoindre l’Australie et trouver refuge auprès de sa belle famille. Ses parents avaient déjà débarqué à Maurice et obtenu l’aide d’Anerood Jugnauth pour que la police se mette à la recherche du couple. Au moment où tout sens d’humanité désertait ceux avides de fortune et de pouvoir, s’établissait entre ceux-ci des rapports de confiance…
Lire ici l’histoire tragique de Dharam Hinduja à Maurice