Internée à l’hôpital psychiatrique alors qu’elle est saine d’esprit, Sandhya B. au centre du cirque médiatique de Finlay Salesse

Vous avez aimé cet article, vous pouvez le partager. Merci d'en faire profiter à d'autres.

Temps de lecture : 8 minutes

​​Sandhiya B., 19 ans, devait quitter l’hôpital psychiatrique (Brown Sequard Hospital – BSH) au matin du 24 décembre. C’était convenu avec les responsables des services sociaux de l’hôpital et la responsable du centre Passerelle, Mélanie Valère-Ciceron. Sauf qu’à l’heure du rendez-vous pour sa décharge, la jeune femme n’y était plus. Les responsables des services sociaux ne savaient pas où elle avait été déplacée. Jusqu’à ce que l’on apprenne, par le biais de Radio One, qu’il y avait une « Opération Sandya » (sic), mise au point par son animateur-vedette, Finlay Salesse. Sandhiya était sortie de l’hôpital psychiatrique pour faire l’objet d’un cirque médiatique. Mais au-delà d’une question d’éthique journalistique, on se retrouve surtout avec une affaire pouvant faire l’objet de charges criminelles.

Sandhiya B., en route finalement vers le refuge de Passerelle, la destination qu’elle avait choisi initialement avec les responsables des services sociaux de BSH.

Une décharge signée vers 17h00 sur le capot d’une voiture et Ayesha Joomun, la directrice du centre Havre d’Avenir, laisse partir Sandhiya B. avec Mélanie Valère. Je suis témoin de la scène et c’est moi qui fais la photo du document car il n’y a pas de double. Il n’a donc jamais été question d’ « exfiltration » comme l’a suggéré perfidement Radio One. En réalité, c’est Ayesha Joomun, la directrice du centre Havre d’Avenir, qui a téléphoné à Mélanie Valère pour lui proposer finalement de rencontrer Sandhiya et celle-ci a alors clairement exprimé son vœu d’aller au Centre Passerelle comme il avait été initialement convenu.
La scène est brève : la jeune fille arrive timidement derrière Ayesha Joomun et a un sourire embarrassé en direction de Mélanie Valère. Ayesha Joomun lui dit : « To konn sa madam-là ? To kapav kozé ar li ». Mélanie Valère lui dit : « Monn vinn gété si to byin. Pangar to krwar nou finn abandonn twa ». Cette dernière phrase transforme soudainement la jeune fille, qui s’approche alors vers Mélanie Valère et se colle à elle. « Ki to anvi fer ? Kot nou li zis enn solisyon tanporèr, kot Passerelle bann-là finn fer enn plan à lonterm pou twa… », lui dit Ayesha Joomun. Sandhiya n’est plus du tout hésitante : « Mo pou al Passerelle ». Et Mélanie Valère a une attitude qui surprend Ayesha Joomun : « Sandhiya, to pa oblizé… Si to byin isi, to kapav resté ». Mais la jeune fille renouvelle son souhait : « Mo pou al Passerelle. Mo pou al ar madam-là ». C’est là que la directrice de Havre d’Avenir lui demande d’aller récupérer ses affaires et pendant ce temps, les responsables des deux centres de refuge signent un document attestant du transfert des responsabilités.
Pendant qu’elle attend dans la ruelle que la jeune fille revienne avec ses affaires, Mélanie Valère sourit enfin de toutes ces petites dents. Derrière ses lunettes, le regard révèle le soulagement après une longue journée à chercher le recours à un emballement médiatique autour d’une jeune personne que l’internement en hôpital psychiatrique avait déjà fragilisé. On aurait pu considérer que la raison a prévalu et que l’affaire est close. Pas du tout, la vérité sur cette journée, d’autant plus qu’elle a été détournée pour masquer des déconvenues, doit être connue. Et désormais c’est le droit qui doit parler.
Sandhiya exercait son droit à la décision pour la première fois hier. Avant, n’en pouvant plus quelquefois des traitements qu’elle subissait, cette orpheline s’enfuyait. Ce comportement naturel, cette réaction saine, fait cependant tâche dans le dossier d’une gamine confiée aux institutions de l’Etat. Avec cela, on rejoint le lot de ceux et celles que l’on désigne comme « Child Beyond Control ». Sandhiya n’a jamais vraiment compris comment elle a atterri dans un Rehabilitation Youth Centre (RYC). Sa vie est faite de ce ballotage entre le centre correctionnelle pour mineure et des familles d’accueil. Elle s’accroche seulement aux bons souvenirs : elle a appris la pâtisserie et, à 17 ans, elle a connu un établissement cinq étoiles… A chacun ses rêves : elle était affectée à la lingerie !
A l’arrière de la voiture, elle se cale enfin au dossier. Toute la vie de cette jeune fille de 19 ans tient dans ce petit sac qu’elle tient sur ses jambes. « Monn gagn mo kado nwel », nous dit-elle. Cela nous fait rire. Les nerfs qui lâchent. Et elle rit avec nous. Cela ressemble au dénouement heureux d’un film américain que les télés diffusent en cette période. Mais, il ne faut pas se fier aux apparences. Il y a plusieurs affaires dans cette affaire qui démarre à peine.

La disparition de Sandhiya

Mais où était donc passée Sandhiya en ce matin du 24 décembre ? Les services sociaux du BSH avaient prévu son départ à 9h00 ce jour-là. Mais avant qu’elle n’y arrive, Mélanie Valère reçoit un appel lui annonçant que d’autres dispositions ont été prises pour la décharge de la jeune fille. Elle appelle les services sociaux de l’hôpital qui lui confirment que la jeune fille n’y est plus. Elles ne savent même pas où elle a été déplacée, ni quand cela a été décidé.
C’est un réel embarras car, cette décharge était préparée depuis un certain temps déjà. Ce sont les services sociaux du BSH, en effet, qui ont approché le centre Passerelle, un refuge pour les cas de violence domestique, les femmes SDF et celles qui, en raison de maltraitances diverses, ont besoin d’un temps pour se reconstruire et reprendre le cours de leur vie. Mélanie Valère-Ciceron, la directrice du centre Passerelle, n’accepte pas d’emblée. Elle demande à rencontrer la jeune fille et son médecin pour bien s’assurer qu’il ne s’agit pas d’un cas de psychiatrie et aussi pour évaluer le niveau de sociabilité de la candidate. Entre le 15 et le 23 décembre, il y a en tout cinq réunions de préparation, impliquant le médecin traitant, les services sociaux et Mélanie Valère elle-même. La jeune fille se prépare mentalement à son entretien d’embauche prévue la semaine prochaine chez Winners. Un vrai emploi, avec une fiche de paie, les premiers pas vers l’autonomie…
Toutefois, il y a un grain de sable au plan administratif : la personne qui a signé pour faire admettre Sandhiya au BSH n’est pas disposée à signer la décharge. Mélanie Valère est aussi journaliste du Défi Media Group. Elle a pour principe de ne pas évoquer elle-même les cas qui sont confiés à Passerelle. En cas de nécessité, elle fait appel à des confrères qui interviennent professionnellement. Ses collègues l’encouragent cette fois à faire exception : cela leur fend le cœur que Sandhiya reste internée pour les fêtes. L’article est sobre et pose les enjeux avec retenue.
Je reprends le sujet sur les réseaux sociaux pour contribuer à l’impact et surtout pour trouver des juristes pour porter assistance dans ce cas. Dès le départ, j’invoque la section 7(1) de la Constitution qui a trait à la torture et au traitement inhumain. Les internautes réalisent le sérieux de l’affaire. Et la signature tant attendue arrive enfin. C’est ainsi que Mélanie Valère est informée de cette décharge prévue en cette matinée du 24…
Mais, où est donc passé Sandhiya ? On ne va pas tarder à le savoir. En ce matin du 24 décembre, il est question d’une « Operation Sandya sur Radio One… » Qu’en est-il ? Selon la version de R1 : « Suite à un appel lancé dans un journal, Radio One a pris la situation en main pour réaliser son rêve. A 9h ce lundi matin Sandhya a pu quitter les locaux de Brown-Séquard pour la maison d’accueil Havre d’Avenir ». « Un journal… » : la formule n’est pas seulement inélégante, elle est méprisante et ne correspond pas à l’éthique en vigueur chez les journalistes qui veut que l’on attribue ses sources, qu’il s’agisse d’un concurrent ou pas.
Sur la page Facebook de Finlay Salesse, l’animateur-vedette de cette radio, on en apprend davantage : « ‘Incarcérée’ à l’hopital Brown Sequard depuis novembre, elle a été enfin ‘libérée’ ce matin », écrit-il. Et il ajoute : « Son calvaire a connu un heureux dénouement ce matin quand elle a été enfin obtenu l’autorisation de quitter l’hôpital Brown Sequard. Cette opération (a) pu être possible grâce aux initiatives du Dr. Ismet Nawoor et de Ayesha Joomun de Havre d’Avenir… ».
En somme, selon ces versions publiques, Radio One aurait pris « la situation en main » pour « libérer » la jeune femme « incarcérée ». Et l’ « opération » a été rendue possible grâce au Dr. Ismet Nawoor, un directeur régional des services de la Santé. Sauf que la version selon laquelle Sandhiya B. aurait « obtenu l’autorisation de quitter l’hôpital Brown Sequard » est loin d’être exacte. La jeune fille a, en réalité, été placée au centre Havre d’Avenir, qui est, en outre, un centre dédié à des mineurs !
Et Finlay Salesse nous apprend également que c’est sa fille, Nathalie Salesse, « qui a été la mouche du coche dans cette affaire lui a déjà trouve deux possibilités d’emploi… »

Elle est majeure…

Procédons par ordre pour une bonne compréhension : qui dispose de l’autorité pour des placements dans des refuges agrées par le gouvernement ? Ce sont les services sociaux, sous l’autorité donc du ministère de la Sécurité Sociale. La ministre, Fazeela Jeewa-Daureeawoo, convient d’un appel téléphonique avec Mélanie Valère à 14h00. Même si je n’apprécie pas la ministre pour la pauvreté de la vision politique de sa formation en matière d’intégration sociale, je connais le travail de cette juriste que j’ai même croisé lors d’une de mes visites à la prison des femmes. La qualité de ses conseils a permis aux Welfare Officers du centre pénitencier de gagner en efficacité. Et la ministre est formelle : son ministère n’a rien à voir avec cela. Pour elle, Sandhiya est majeure et si elle est jugée saine d’esprit, elle sort et elle décide de là où elle veut vivre. C’est clair, c’est net.
L’information est communiquée à Me. Jose Moirt qui a offert ses services dans cette affaire. Il invite Mélanie à se rendre au centre Havre d’Avenir et à voir avec Sandhiya si elle veut toujours se rendre au Centre Passerelle. Je propose à Mélanie Valère de l’accompagner. Elle y consent sans aucune difficulté. Elle sait que je me place en témoin et que je fonctionne en tant que journaliste aussi. Elle ne sait pas encore, au moment des faits ici relatés, que je suis au courant des initiatives de Finlay Salesse…
La visite au centre Havre d’Avenir ne permet pas à Mélanie Valère d’accéder à Sandhiya. Un certain Belall intervient et évoque des protocoles de l’établissement selon lesquels il serait nécessaire de prendre rendez-vous pour pouvoir éventuellement rencontrer la jeune fille. La conversation est polie de bout en bout, mais le dénommé Belall n’en démord pas : une rencontre peut être envisagée mais sur rendez-vous uniquement et le fameux rendez-vous pourrait être considéré dans dix jours ou un mois !
J’interviens à mon tour dans la conversation. Je décline bien le fait que je suis un journaliste indépendant et je demande des détails sur l’instance qui a confié la tutelle de Sandhiya à Havre d’Avenir. Est-ce qu’il y a des éléments documentés de ce transfert de responsabilité ? Quelle est l’instance qui a décidé du placement d’une fille majeure dans un refuge destiné à des mineurs ? L’homme se contente de nous dire que la jeune fille leur a été confiée et que ce n’est pas à lui de fournir ces détails. Et il nous informe finalement que Sandhiya n’est pas sur place.
Les instructions de Me. Moirt cette fois, c’est d’en faire part à la police. Mélanie Valère est reçue au poste de Beau-Bassin qui l’oriente vers le poste de Barkly, la juridiction policière de BSH. Après un conciliabule avec ses hommes, le sergent Minien décide d’une action : « On va prendre un ‘Statement’ avec la jeune fille. Je ne peux pas vous dire si elle viendra ou non avec nous mais, nous saurons ainsi si elle s’y trouve et on saura aussi si tout va bien pour elle. Ça vous convient Madame ? » Mélanie Valère acquiesce. Nous avons pour consigne de ne pas intervenir dans leur conversation.
Les trois policiers qui débarquent au centre Havre d’Avenir font à nouveau face au dénommé Belall qui évoque à nouveau ses « procédures » et autres « protocoles ». Ayesha Joomun est aussi présente cette fois. Elle affirme que Sandhiya est dans l’établissement. Le sergent leur explique qu’il est venu avec ses hommes confirmer la présence de la jeune fille et qu’il souhaite s’entretenir avec elle. « Est-ce que vous allez coopérer ou est-ce que je dois avoir recours à d’autres moyens ? », demande le sergent. Mme. Joomun convient mais précise qu’elle laissera rentrer les policiers seulement. Mélanie Valère ne fait aucune difficulté. A un des policiers, elle dira : « Dites-lui seulement que je suis venu comme convenu le matin. Et que je ne l’ai pas abandonnée ! ». L’officier lui répond qu’elle ne peut rien lui promettre.
Pendant que les officiers s’entretiennent avec la jeune fille, Ayesha Joomun sort et vient rencontrer Mélanie dans la petite ruelle. Cette dernière tente de la rassurer : « Je ne suis pas venue me disputer avec vous. C’est juste qu’il y avait des dispositions qui avaient été prises pour elle depuis une quinzaine de jours. Vous faites peut-être partie d’une solution temporaire, mais tout était déjà prêt pour une intervention dans le long terme… ». Initialement hautaine et arrogante, Ayesha Joomun change peu à peu d’attitude. Son interlocutrice n’est pas du tout dans la confrontation. Je me garde bien d’intervenir : formé à la négociation dans mes fonctions antérieures, je réalise très vite que Mélanie Valère a des aptitudes innées pour désamorcer les situations d’antagonismes.
A leur sortie, les policiers confirment : « La fille va bien. Elle dit qu’elle est bien avec ses amies. Voilà ce qu’on peut vous dire madame. Pour la faire sortir, ce n’est pas de notre ressort. Il vous faudra faire d’autres démarches ». Mélanie Valère les remercie. Retour au poste de police où elle récupère sa voiture. La journée a été longue : plus de dix heures qu’elle tourne d’un interlocuteur à un autre. Mais, elle sait maintenant que Sandhiya va bien. Une chose toutefois la ronge. Elle m’en parle pendant qu’elle conduit et que l’on quitte Beau-Bassin…
« Pour Sandhiya, j’aimerais pouvoir lui dire que nous ne l’avons pas abandonnée. Si je pouvais seulement lui dire cela… », me dit-elle. Le téléphone sonne à plusieurs reprises. Elle ne décroche pas. L’envie n’y est pas. Elle songe seulement à rentrer et aller à la messe. Le téléphone sonne encore. Je lui demande de s’arrêter : « C’est peut-être la directrice de Havre d’Avenir qui t’appelle… »
En effet. Quatre appels au total. Mélanie Valère rappelle. On lui propose de venir rencontrer Sandhiya. Sa persévérance a payé.

Joël Toussaint


Vous avez aimé cet article, vous pouvez le partager. Merci d'en faire profiter à d'autres.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.