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Le président Ivoirien Alassane Dramane Ouattara (ADO) a annoncé dans un discours à la nation le 5 mars qu’il ne sera pas candidat pour un troisième mandat, alors même que la constitution ivoirienne de 2016 lui en offre la possibilité. Le précédent en Afrique d’un Chef d’Etat quittant le pouvoir volontairement alors que la loi lui permet de continuer est celui de Mandela qui refusa un 2e mandat en 1999. L’annonce d’ADO interpelle de nombreuses capitales africaines et focalise les regards vers deux pays en particulier : le Cameroun de Paul Biya (87 ans, au pouvoir depuis 1982) d’un côté et la République de Guinée d’Alpha Condé (82 ans, au pouvoir depuis décembre 2010, entend amender la constitution pour rester au pouvoir à vie).
«Je veux transférer le pouvoir d’un président démocratiquement élu à un autre pour la première fois de notre histoire ». A 78 ans, le président Ivoirien annule ainsi toute spéculation concernant sa candidature à la présidentielle prévu en octobre prochain.
Le président Ouattara a fait son allocution devant les deux chambres du Parlement, réunies en congrès à Yamoussoukro. Une quarantaine de minutes d’auto-congratulation sur les acquis, voire le miracle économique et les avancées démocratiques enregistrés au cours de ses deux mandats qui s’achèvent dans quelque huit mois. Puis cette annonce inattendue : « Tout au long de ma carrière et durant les deux mandats que vous m’avez confiés à la tête de notre beau pays, la Côte d’Ivoire, j’ai toujours accordé une importance toute particulière au respect de mes engagements. Dans le même esprit, j’avais indiqué, à plusieurs occasions au moment de l’adoption de la Constitution de la IIIème République en 2016, que je ne souhaitais pas me représenter à un nouveau mandat présidentiel. En conséquence, je voudrais vous annoncer solennellement que j’ai décidé de ne pas être candidat à l’élection présidentielle du 31 octobre 2020 et de transférer le pouvoir à une jeune génération ».
Les propos du Président Ouattara ont été accueillis par une salve d’applaudissements, mais aussi par quelques cris de désapprobation. Selon la presse ivoirienne, des membres du gouvernement, des élus et cadres semblaient ne pas s’y attendre, ou donnaient l’impression de n’avoir pas voulu croire que le chef de l’État irait jusqu’au bout de son engagement.
Au moment de sortir pour regagner son véhicule, le chef de l’État et son épouse ont eu droit à une haie d’honneur formée par le Parlement ivoirien. Mais déjà au moment de quitter la salle, Alassane Ouattara a été pratiquement happé par les ambassadeurs accrédités en Côte d’Ivoire. Certains diplomates, dont le Nonce Apostolique, ont échangé quelques mots avec lui et l’ont félicité.
La succession…
« Rarement discours aura été autant attendu sur les bords de la lagune Ebrié. Et il y avait de quoi ! », commentait Issa K. Barry, de L’Observateur Paalga (Burkina Faso). L’adoption de la Constitution de la IIIe République ivoirienne en 2016 avait suscité une suspicion, alimentée par ADO lui-même, qui avait jusqu’ici entretenu le flou sur ses véritables intentions. Il avait reconnu lui-même d’ailleurs que «les révisions constitutionnelles suscitent souvent méfiance et suspicion », souligne le journaliste Burkinabé.
En faisant valoir ses droits à la retraite politique, Ouattara envoie en même temps un signal à Henri Konan Bédié et à Laurent Gbagbo, qui rêvent encore de prendre leur revanche. Depuis trois décennies, au gré de leurs ambitions et de leurs combinaisons politiques, ces trois personnalités ont été un trio infernal qui a mis le pays d’Houphouët Boigny sens dessus-dessous.
Mais qui sera le prochain locataire de la résidence présidentielle de Cocody ? C’est la question qui se pose désormais pour ceux qui s’intéressent à Abidjan. Même s’il dit vouloir passer la main à une nouvelle génération, Ouattara n’entend pas remettre le témoin à n’importe qui. Guillaume Soro, celui qui passait pour le fils spirituel d’ADO, a vu ses ambitions présidentielles contrariées par ADO lui-même et ses fidèles. Après qu’un mandat d’arrêt a été délivré contre lui pour une ténébreuse histoire d’atteinte à la sûreté de l’Etat et de détournement de deniers publics, Guillaume Soro s’est exilé.
Ce que l’on peut comprendre de la situation ivoirienne, c’est qu’avant de quitter la scène, Ouattara veut baliser le terrain pour son dauphin. Celui qu’il se sera choisi devrait pouvoir bien garder le fauteuil et assurer ses arrières. A moins d’un de ces tours de passe-passe dont on sait Ouattara capable, c’est Amadou Gon Coulibaly, qui devrait lui succéder. Son Premier ministre aura été un fidèle par tous les temps et surtout les mauvais. Aussi, il serait question que Coulibaly quitte son poste de Premier ministre pour se mettre déjà en pré-campagne électorale.
Au-delà de la Côte d’Ivoire, la décision d’Alassane Ouattara attire le regard sur des présidents considérés inamovibles sur le continent. Il y a Alpha Condé, le voisin guinéen embarqué dans son référendum constitutionnel dont l’objectif inavoué pour l’instant est de lui ouvrir la voie à un troisième mandat. Une voie sans issue qui mène inexorablement la République de Guinée vers une guerre civile. L’exemple ivoirien pourrait être salutaire à Conakry, d’autant que l’honneur serait sauf pour le professeur Condé, qui n’a pas dit de façon claire s’il veut modifier la Constitution guinéenne à son propre profit. Le Camerounais Paul Biya a, pour sa part, fraudé à nouveau l’année dernière pour s’éterniser au pouvoir.
Sources : L’Intelligent d’Abidjan, Fraternité Matin, L’Observateur Paalga, Le Point