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Alain Leung Hing Wah, le directeur des opérations aériennes (EVP – Flight Operations), celui-là même qui, la semaine dernière, annonçait au personnel navigant la suppression de leurs allocations de service aux escales et son remplacement par une Overseas Duty Allowance réduit unilatéralement, a pris des libertés aux restrictions prescrites par les autorités mauriciennes au personnel navigant. S’agirait-il d’un fait isolé ? Des libertés prises précédemment lui avaient pourtant valu une suspension, ainsi qu’à son acolyte Pramil Banymandhub, son prédécesseur à ce poste. Mais les repêchages pour fautes graves n’entravent pas la voie des promotions à des postes névralgiques chez Air Mauritius. Le capitaine Puniven Somoo, suspendu lui aussi à l’époque pour des fautes techniques, est aujourd’hui responsable… de l’académie des pilotes !
Nous sommes le 16 mars, le personnel navigant reçoit des instructions pour les vols devant être effectués sur les déssertes Maurice – Paris et Maurice – Londres: « As per directives of the Mauritian Authorities, with immediate effect crew members must be confined to their hotels during their layover at London and Paris ». Ce mail émanant de l’équipe de gestion des opérations en cabine (Cabine Operations) et labelisé « High Importance », est transmis à 11:54.
A 17:22, ce même jour Alain Leung Hing Wah intervenait personnellement auprès de l’ensemble du personnel concernés par les vols pour expliciter les « additional travel restrictions » annoncées par les autorités mauriciennes. Ainsi, fait-il comprendre que « all Flight and Cabin Crew are required to strictly abide by confinement regulations ». En tout premier lieu, il est prescrit que « Crew members shall not leave their hotels during layovers in the United Kingdom and in the European Union (Paris) ».
Une semaine plus tard, plus précisemment le 22 mars, Alain Leung Hing Wah prenait déjà des libertés par rapport à ces restrictions. Ainsi, dans sa note avisant du changement du lieu d’hébergement de l’équipage – qui doit passer au Pullman proche de l’aéroport de Roissy-CDG – à partir du 23 mars 2020, il informe les équipages que l’hôtel, n’étant pas en mesure de fournir le menu complet du service en chambre, leur proposera des boites-repas. Il ajoute toutefois : « In addition, the Marks & Spencer shop next to the hotel is open and caters for food and basic amenities ».
Le personnel navigant comprend très bien de quoi il en retourne : en somme, la suggestion d’Alain Leung Hing Wah consiste à les inviter à ignorer les restrictions posées par les autorités mauriciennes ! Selon nos informations, l’équipage du MK014 qui opère le vol Maurice-Paris (MRU-CDG) le lendemain s’est bien gardé de céder à ce laxisme. Mais la suggestion, documentée dans un courriel, serait-elle la preuve d’une incitation à commettre une infraction aux restrictions imposées par les autorités mauriciennes ?
La suggestion provenant du directeur des opérations aériennes pourrait paraître effarante à ceux qui ne connaissent pas les petits et les grands arrangements qui s’opèrent chez Air Mauritius. La légèreté dont peut faire preuve Alain Leung lui avait valu une suspension, ainsi qu’à Pramil Banymandhub. En effet, la Direction de l’Aviation Civile (DCA), alors sous la tutelle du britannique Garth Gray, allait leur enlever leurs licences et diligenter un audit indépendant après avoir constaté des irrégularités dans le processus de certification de ces deux commandants de bord.
Petits services réciproques
La décision de suspendre les deux pilotes fut ainsi prise sous l’administration d’André Viljoen. L’enquête commanditée allait confirmer certaines infractions et accorder le bénéfice du doute sur d’autres. Les deux, de très bons pilotes au demeurant, se seraient mutuellement certifiés et, en outre, pas dans les règles imposées pour certains types de vols.
Nous sommes alors au début de 2015 ; Viljoen ne souhaite pas renouveler son contrat qui expire en août. Enter alors Megh Pillay. Les deux suspendus tentent leur chance auprès du nouveau DG. La conjoncture leur est favorable : la compagnie fait face à un manque de pilotes et Megh Pillay est un pragmatique. Ce dernier fait d’ailleurs part de son point de vue lors d’une de ses premières réunions avec les directeurs exécutifs : il préfère avoir les deux pilotes dans le cockpit, « plutôt que de débourser Rs. 18 millions tandis que Pramil Banymandhub joue au golf », dit-il en substance. Le principe est agrée que les deux soient réintégrés avec des mesures disciplinaires.
Au niveau du management, on sait que cette affaire équivaut à de la morve qui pend au nez de la compagnie et celle-ci ne peut se permettre de « cut off our nose to spite our face », selon les termes d’un protagoniste. En d’autres mots, une réaction trop vive aurait pu compromettre MK au plan opérationnel ; aussi, cette orientation pouvait arranger tout le monde. Mais le rapport de la DCA pouvait toujours surgir et susciter de l’embarras. Selon notre source, le rapport fut remis en main propre à Megh Pillay qui l’aurait placé dans le coffre de la compagnie pour éviter tout tort à MK.
Mais, il y avait un hic : c’est qu’entretemps Garth Gray était passé à MK et c’était lui le directeur des opérations aériennes. Le premier clash entre Megh Pillay et Mike Seetaramadoo aurait surgi à ce niveau. D’un côté Megh Pillay impose ses conditions aux deux pilotes : grosso modo, ils doivent s’engager à bien se conduire, et surtout pas de représailles à l’encontre de leurs collègues qu’ils estiment les avoir trahis auprès de la direction de l’aviation civile. De l’autre côté, pour Mike Seetaramadoo, tout content de la réintégration d’Alain Leung, (serait-il son copain de collège?), c’était « emballé, c’est pesé ». Il envoyait illico un memo à Garth Gray lui enjoignant de reprendre les deux pilotes. Ce qui valut à Seetaramadoo une réprimande ainsi que la consigne d’annuler son memo et de ne jamais donner d’ordre à un EVP.
La suite on la connaît : l’examen des diplômes de Mike Seetaramadoo suscitèrent la décision d’un comité disciplinaire à l’encontre de « l’homme à la triple casquette ». A l’heure où celui-ci devait se tenir, Arjoon Sudhoo, le président du conseil d’administration réunissait quelques membres pour procéder au limogeage de Megh Pillay. Ce qui fut fait.
Avec ses diplômes mis en doute, le prestige de Seetaramadoo était bien entamé. Ses prestations aussi, à la commerciale comme au cargo, ne contribuèrent aucunement aux résultats car, malgré la baisse du cours du fuel, les revenus étaient calamiteux. Somas Appavou, qui succédait à Megh Pillay, fit installer le protégé à Shanghai. Avec le Covid-19, il est rentré à Maurice avant l’arrêt des opérations d’Air Mauritius sur la Chine.
Pilote à l’académie…
Le cas du commandant Puniven Somoo est aussi d’anthologie. Il commandait le vol MK292 à destination de La Réunion le 10 avril 2009 et finit par atterrir après trois tentatives infructueuses. Il soumit un rapport informant de mauvais temps localisé à l’approche et à l’atterrissage à Roland-Garros. Il est entendu par ses collègues, feu-Manoj Gopaul et Ravi Baichoo, et fera l’objet d’une première suspension. Le 20 mai 2009, il subit un test au BMI Centre à Londres sur un simulateur de l’Airbus A340. Selon Sudhir Beeharry-Panray du département des Ressources Humaines, qui lui écrit le 16 juillet suivant : « it has been found that your session was not to the required standard and that you had technical as well as CRM weaknesses ».
Le pilote apprend ainsi qu’il est suspendu avec effet immédiat. Le lendemain, il reçoit une lettre l’informant qu’il doit rendre tous les effets de la compagnie en sa possession, y compris sa carte d’employé. Le 7 août, il reçoit un courrier l’informant qu’il doit se présenter devant un comité disciplinaire présidé par Me. Subash Lallah. Dans une lettre du 28 septembre 2009, le capitaine Somoo est officiellement informé de son limogeage.
Les carottes ne sont néanmoins pas cuites pour le commandant Somoo. Ses conseillers légaux vont trouver des vices de forme dans la procédure de suspension qui mène à sa destitution et il loge ainsi un procès contre Air Mauritius. Montant des réclamations : Rs. 52 millions. Les années passent pendant lesquelles le capitaine Somoo exerce à l’étranger. Jusqu’au moment où les vents politiques tournent et placent le MSM des Jugnauth au pouvoir. Des vents favorables au capitaine Somoo aussi qui trouvera moyen de se poser en douceur… chez Air Mauritius !
Certains attribuent le dénouement à la parenté extensible en milieu hindou qui lui vaudrait des liens avec l’ancienne Speaker de l’Assemblée, Maya Hanoomanjee. D’autres estiment que Pramil Banymandhub, ayant été personnellement mis en cause dans cette procédure au civil, aurait préféré une côte mal taillée à un procès qui aurait pu tourner en sa défaveur. La réintégration du pilote ne se fit pas sans remous : le commandant François Marion, le responsable de la sécurité aérienne chez MK, offrit sa démission. Selon nos informations, Bissoon Mungroo, alors membre du conseil d’administration, ne se contenta pas de signer un rapport défavorable au pilote, mais alla même jusqu’à s’entretenir personnellement avec Anerood Jugnauth sur la question. Rien n’y fit.
Révélations surprenantes ? Soit la communication chez Air Mauritius a atteint des sommets en s’assurant que ce qu’elle dicte à sa sélection de journalistes sera reprise dans le courant de la facilité. Mais, plutôt que de pinailler sur l’exclusivité des médiocrités, tenons-nous en aux faits : depuis le 16 août 2019, le capitaine Puniven Somoo est le patron de l’académie des pilotes ! Pramil Banymandhub, prétendument à la retraite après 41 ans de service dans un cockpit d’avion, est le CEO de Mauritius Helicopter Ltd. ! Alain Leung lui est passé directeur des opérations aériennes. Ses collègues, ceux au sein des syndicats, ont cru le croiser dans le couloir, ainsi que Mike Seetaramadoo, à l’issue de leur réunion avec l’administrateur Satar Hajee Abdoula. Mais comme les masques ne sont pas encore tombés…
Toutes ces histoires de personnes, de parentés, de castes politiciennes sont écœurantes !
Elles montrent que l’objectif de ce panier de crabes n’est pas le bien commun (une compagnie économiquement et techniquement performante), mais de s’accaparer les avantages, visibles et invisibles du pouvoir.
Résultat : Une gestion accablante des ressources humaines, l’écœurement des salariés et la ruine pour tous !