Temps de lecture : 4 minutes
Kreepallo Sunghoon tire la sonnette d’alarme : « Avec une production de moins de 50 % pour la saison, les prix des légumes vont augmenter »
Avec une dépendance à plus de 70 % sur les produits alimentaires importés, la fermeture des frontières pour limiter la contagion au virus du Covid-19 a mis au grand jour l’extrême vulnérabilité du pays au plan de la sécurité alimentaire. Les restrictions liées aux mesures de confinement, telles qu’elles ont été élaborées, n’arrangent pas les choses : elles compromettent, au contraire, les activités des agriculteurs déjà bien affectés par les problèmes structurels émanant d’une abdication des gouvernements pour une politique agricole et une meilleure répartition des terres à cultiver. Ainsi, la production vivrière insuffisante fait grimper les prix des légumes, les rendant inaccessibles à ceux qui sont sans ressources.
« On ne nous a pas seulement ignoré, mais on nous a exposé à des difficultés. Lapolis fou lamerdman ; nou pa fouti al dan karo, létansa pa kapav fèr rékolt, volèr vinn kokin ! » : les propos de Kreepalloo Sunghoon, disent bien le désarroi des planteurs et résument la situation qui vire au drame. Lors d’une précédente conférence de presse de Konversation Solider Kolectif (KSK), il parlait d’un système où certains « Pé tir la vi » en abusant des consommateurs et d’autres qui en sont même à « Pran la vi ». Les vols répétés dans les champs ont, en effet, occasionné des dérapages et un règlement de comptes a ainsi coûté la vie à un homme apparemment surpris en plein chapardage.
Pour le secrétaire de la Small Planters Association (SPA), les contraintes posées par le Covid-19 sont venues aggraver une situation de déséquilibre dans le monde agricole. La faute du gouvernement aura été, selon lui, de n’avoir pas considéré le secteur agricole au nombre des services essentiels. « Dan tou péyi, nou plantèr, nou esansyel. Isi, non ; plantèr, élvèr, pésèr inyoré konplètman ! Nou pa finn kapav sorti. Ek sa kou-là, lèr donn nou kart pou kapav amenn travayèr dan karo, lapolis fou lamerdman, donn nou lamann ».
A une question d’Indocile, lors de la visioconférence du 18 mai, Sunghoon explique que les légumes qui arrivent sur le marché depuis une semaine sont pour beaucoup le produit des cultures initiées avant le confinement. En somme, il faut compter environ 45 jours pour parvenir à des récoltes, mais les autorités n’ont élaboré aucune mesure durant ce temps. Pire : alors que la transition saisonnière est généralement favorable à la production vivrière, les incohérences entre les services de l’agriculture et ceux de la police ont cette fois compromis la reprise des activités dans les champs. Selon les premières estimations, la production pour la saison connaîtra une baisse de plus de 50 % et l’incidence sur les prix ne peut qu’être négative.
Les agriculteurs sont coincés entre deux factions : il y a, d’une part, les importateurs qui occupent entre 70 et 72 % du marché et les entreprises sucrières, d’autre part, qui produisent près de 22 % dans le cadre de la diversification agricole. Dans un cas comme dans l’autre, ce sont les grosses corporations qui dominent le marché. « Nou finn rémarké éna anviron 15 an, saki ti-plantèr ti pé fèr finn al dan lamin ‘corporate’ : zot distribisyon organizé, prodiksyon asiré pou sipermarkèt. San konté semens, fertilizan, tou dan zot lamin », fait-il remarquer.
Le jeu commercial devient totalement inégal quand il s’agit de l’accession des produits dans les centres commerciaux et les établissements hôteliers : le fait de devoir proposer des produits lavés et calibrés impose d’engager de la main d’œuvre. Ce qui requiert des capitaux, dont les petits planteurs ne disposent pas. « Plantèr ankor pé atann zot Rs. 5 000. dépi lakoup lané dernyèr ; zot pa mem koné si pou fèr lakoup sa lané-là ». Et ainsi, les petits planteurs se font graduellement éjecter du système.
Il y avait de la marge prévue pourtant, notamment dans le cadre de la Sugar Industry Efficiency Act. Cette législation contient des dispositions pour la diversification agricole et les possibilités de métayage pour les terrains qui ne sont plus sous culture de cannes. Là encore, soutient Kreepalloo Sunghoon, les entités sucrières remettraient des terres marginales aux petits planteurs et aux coopératives. « Qu’est-ce que vous faites de la terre si vous n’avez pas accès à l’eau ? », demande Sunghoon. Des fois, cela se joue dans ce type de rapports.
Le 22 avril dernier, lors d’une rencontre avec le ministre de l’Agro-Industrie, les petits planteurs ont abordé une dizaine de sujets pour le court-terme. Il y a des attentes pour une production accrue de légumes pour la période s’étendant à juillet. Mais il faut une visibilité à plus long terme ainsi que la volonté politique pour rendre les terres disponibles (Voir le tableau plus haut).
Cela fait longtemps que les petits planteurs attendent un plan directeur du gouvernement. Ils attendent surtout que les parties s’entendent sur les objectifs concrets pour la production locale. Ce qui poserait clairement la question des moyens et des ressources.