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Triple naufrage en direct : Sherry Singh sombre après avoir coulé Pravin Jugnauth
Axcel Chenney englouti dans les remous
C’est une question providentielle d’Ish Sookun – hors plateau – qui aura permis à Sherry Singh, l’ancien patron démissionnaire de Mauritius Telecom (MT), de préciser ses allégations selon lesquels le « survey » commandité par le Premier ministre auprès des autorités indiennes aurait abouti à l’usage d’un dispositif sur le câble SAFE à la station d’atterrissement de la Baie du Jacotet. Mais alors que Sherry Singh engageait la responsabilité du Premier ministre sur cette intervention des plus compromettantes, il affirmait n’avoir eu aucun recours pour « arrêter tout ça » que de faire ses déclarations publiques. Son affirmation paraît aussi inexacte que ses motivations farfelues.
« On n’a pas de cadre légal pour cela », affirmait Sherry Singh faisant le récit de la visite d’un représentant du gouvernement et un responsable technique Indien, présenté comme un certain « Monsieur Moustache ». L’ancien patron de MT apporte ainsi sa part d’éclairage aux déclarations du Premier ministre à l’Assemblée. Ce dernier avait confirmé l’appel du 15 avril, et Sherry Singh fit comprendre que le chef du gouvernement l’avait appelé pour lui remonter les bretelles étant donné qu’il avait refusé l’accès au centre d’atterrissement du câble SAFE. Se pliant finalement aux « instructions » du Premier ministre, il y dépêcha des responsables techniques de MT.
Sherry Singh se réfère aussi à des éléments plus tangibles que la teneur de ses conversations avec le Premier ministre. Les images de vidéosurveillance du centre d’atterrissement par exemple. C’est ainsi, dit-il, qu’il retrouvera « Monsieur Moustache » sur les images avec l’équipe d’intervention technique. Une équipe qui aurait passé au moins six heures1 dans le centre de la Baie du Jacotet. Sherry Singh prend soin de préciser que ces images existent. Faut-il y trouver un clin d’œil aux images non-retrouvées dans l’affaire Kistnen ? Quoi qu’il en soit, il va apporter encore un autre élément pouvant constituer une preuve : celui de l’intrusion, non seulement dans les locaux, mais aussi sur le réseau. Intrusion qui, dit-il, a laissé des traces.
« On n’a pas de cadre légal pour cela », affirmait Sherry Singh pour qui cet empêchement tiendrait du fait que le centre d’atterrissement de SAFE est propriété d’un consortium d’opérateurs et qu’aucune intervention sur ce câble ne peut se faire sans la conformité aux procédures convenues par les membres du consortium. Il estime, en outre, qu’il n’était en présence d’aucune requête écrite et ne pouvait accéder à une requête verbale. Il se serait finalement plié sous la pression du ministre de l’Intérieur.
Droit Constitutionnel : Aucune Interférence !
C’est ici que l’ex-patron de MT manœuvre dans l’imprécision. Mais il exerce un tel charme sur son intervieweur que celui-ci ne réalise pas qu’il s’est échoué sur les écueils de ses responsabilités. Qu’en est-il ? Il y a certes des procédures qui limitent les possibilités d’intervention sur le câble, mais ce ne sont pas ces procédures qui font qu’il n’y ait pas de cadre légal pour des activités d’interception. Même si, de manière hypothétique, le consortium pourrait y agréer, il ne pourrait le faire… Pas seulement parce qu’il n’y a aucun cadre légal, mais surtout parce qu’il ne peut y en avoir un ! C’est impossible. Pour la simple et bonne raison que ce ne serait pas conforme à la Constitution !
Les rédacteurs de la Constitution l’ont voulu ainsi. Parce que les constitutionalistes ont assez de culture pour savoir que, dans toutes les civilisations, des antiquités à nos jours, les élus constituent des despotes en puissance. Et c’est pour prémunir la société de leurs dérives éventuelles que la loi suprême se donne pour devoir de garantir les libertés fondamentales. Et, notre Constitution ne fait pas exception.
En la circonstance, il faut se référer au droit prescrit à l’article 12 (1) de la Constitution. Il s’agit du droit permettant au citoyen de recevoir et de communiquer des informations sans interférence et sans qu’il n’y ait d’interférence à sa correspondance. Ce droit fait donc partie de ceux constitutifs de l’Etat « souverain et démocratique ». En d’autres mots, toucher à ce droit reviendrait à porter atteinte à la souveraineté de l’Etat. Et c’est pour cette raison que la Constitution prévoit des protections à ces droits fondamentaux. En effet, la Cour suprême peut être saisie pour toute entrave à de telles libertés.
Pour preuve, l’article 17 (1) prescrit bien que : « Where any person alleges that any of sections 3 to 16 has been, is being or is likely to be contravened in relation to him, then, without prejudice to any other action with respect to the same matter that is lawfully available, that person may apply to the Supreme Court for redress ». On ne peut plus explicite : cet article prévoit qu’une partie peut référer à la Cour Suprême, non seulement une action contraire aux droits fondamentaux déjà commise, mais aussi celle qui serait en train d’être commise ou serait susceptible d’être commise selon toute vraisemblance. Mieux encore, l’alinéa (2) de cet article de la Constitution reconnaît à un juge le pouvoir d’ordonner, d’émettre les arrêtés et de donner les instructions qu’il juge appropriées aux fins de l’exécution de l’un des articles 3 à 16 qui protège le droit de la personne concernée.
Sherry Singh a, à n’en pas douter, de solides raisons de craindre cette police qui attend ordres et instructions « d’en haut ». Mais l’ancien patron de MT peut-il prétendre, comme il l’a fait avec son intervieweur Axcel Chenney, qu’il se demandait comment « arrêter tout cela » ? A la lumière des dispositions constitutionnelles, ça tiendrait difficilement la route. Puisque, s’il avait voulu vraiment « arrêter tout cela », il aurait commencé par rechercher un avis légal et il aurait réalisé qu’il pouvait non seulement arrêter la machination qu’il a fini par dénoncer, mais éventuellement obtenir l’arrestation aussi, avant qu’ils ne quittent le pays, de ceux qui, en compagnie de « Monsieur Moustache », avaient bidouillé le câble SAFE pendant six heures. Et de là, celui dont il dit être l’instigateur de cette requête peu orthodoxe aurait été contraint de s’expliquer au juge.
Tout ceci, en attendant de décider des autres actions légales que la Constitution permet à Sherry Singh d’envisager. Les incidences diplomatiques ? De celles qu’il n’aurait pas envisagé car, si ce que Sherry Singh avance serait fondé (comme il semble bien l’établir), nous nous retrouvons dans un cas avec d’énormes similitudes avec celui qu’Edward Snowden avait évoqué par le passé. Sauf que, la probabilité que le Premier ministre mauricien se fende lui-même d’un statut de lanceur d’alerte serait plutôt loufoque !
Mais, rien de tout ceci n’ayant été entamé jusqu’ici, comment demain Sherry Singh pourrait-il dire, comme tant d’autres qui ont eu à y faire face, qu’il fait confiance à la justice ? Puisque, dans la réalité, il n’a jamais indiqué avoir sollicité le judiciaire à cet effet.
Une Interview ou un Show ?
C’est cet ensemble d’éléments qui fait comprendre le rôle passif de l’intervieweur. Car, au-delà des questions que nous avons évoquées plus haut, il y en a tout plein qui n’ont pas été posées. Comme celle relevant des responsabilités de l’ancien patron de MT envers les autres entités engagées au sein du conseil de gouvernance. Ou encore envers les membres du consortium. Car, Sherry Singh est bien resté en poste entre le 14 avril et le 30 juin.
Il faut savoir que la société française Orange SA (anciennement France Telecom) détient 40% de l’actionnariat de Mauritius Telecom par le biais de Rimcom Ltd., son instrument de placement (investment vehicle) à Maurice. Ce n’est pas rien : le gouvernement mauricien détient 33.49%. Il se considère majoritaire grâce aux apports de la SBM Holdings (19%) et la National Pensions Fund (6,55%). On ne peut qu’être surpris que le journaliste ne rebondisse pas lorsque Sherry Singh explique que le secrétaire du Cabinet lui envoie un courrier pour l’informer de cette étude (survey) devant être menée, sachant que le président du conseil de gouvernance de MT n’est nul autre que le secrétaire du Cabinet ! Sherry Singh considère-t-il que le président du conseil de gouvernance serait dans une situation de conflit d’intérêts ?
La question devait être posée, sinon pour évaluer la compréhension que l’ancien DG de MT avait de ses fonctions et celles du président de son conseil de gouvernance, au moins pour les besoins pédagogiques des Mauriciens profanes aux technicités des corporations. Car, au sein des conseils de gouvernance, les décisions ne sont ni celles du Chairman ni celles du DG, puisqu’elles engagent les membres de manière collective. Ce qui fait que, même si les autres entités mauriciennes auraient des représentants de complaisance, ceux-ci auraient-ils cautionné une intervention qui aurait engagé le conseil de gouvernance dans une conspiration ? La responsabilité pénale d’une telle orientation, s’il faut le souligner, engage les individus.
Au-delà, pour quelle raison Pravin Jugnauth devait-il donner des instructions si MT serait l’opérateur local devant assurer un audit régulier (survey ?) des infrastructures du centre d’atterrissement de la Baie du Jacotet ? Il y a bien un DG chez MT et, en outre, il y a son chef de Cabinet qui en est le Chairman. Le patron du MSM aurait-il effectivement nommé un incompétent à la tête de Mauritius Telecom ?
D’autre part, on compte une trentaine d’opérateurs au nombre des exploitants du câble SAT3/WASC/SAFE. Ce consortium a-t-il été informé de cette intrusion dans le centre d’atterrissement ? Si oui, quand ? Si non, pourquoi ? Ces opérateurs ont-ils été mis au courant de l’intervention, quelle qu’elle soit, sur le câble ? Si oui, quand ? Si non, pourquoi ?
Ces considérations basiques nécessitent-elles des « compétences techniques » en informatique ? Nos lecteurs peuvent se rendre à l’évidence que nos propos ne sont pas ceux réservés aux seuls initiés de l’ingénierie de la technologie informatique. Comment alors comprendre cet aveu d’Axcel Chenney quand il affirme ne pas disposer de « compétences techniques » ? Fausse modestie ou faux fuyant ? Pourrait-il s’agir, comme le suggèrent quelques-uns qui connaissent la profession, d’une impréparation lamentable du journaliste ? Vraiment ? Quoi qu’il puisse en être, quand une publication fait mousser, par effets d’annonce, son émission d’infotainment – pour parvenir à une audience de plus de 92 000 connectés à la page Facebook – un tel aveu relève essentiellement de l’irrespect.
Ce qui est clair aujourd’hui, c’est que nous avons désormais un Premier ministre qui, embourbé dans une allégation d’avoir fait intervenir une équipe technique indienne sur le câble SAFE, implique Narendra Modi, son homologue indien. Ceux qui nous ont lus sur ce sujet précédemment auront noté que nous avons pris le soin de prendre les propos de Sherry Singh avec prudence.
« Nous préférons plutôt nous en tenir à ce que l’on peut constater de manière factuelle. Car, quand Sherry Singh évoque une tierce-partie étrangère, cela ne fait pas automatiquement d’un tel prestataire une puissance étrangère, ou un agent de celle-ci, au sens prévu par l’article 57 du Code pénal », écrivions-nous. Car, d’autant plus qu’il pourrait s’agir d’espionnage, il serait surprenant que le Premier ministre indien confirme la version selon laquelle il aurait été sollicité pour cette intervention. Et, encore plus surprenant, qu’il y aurait agrée.
Serions-nous trop prudents ? La chute de notre article nous évitera d’être entrainé dans ces chutes en série… Ce n’est peut-être pas une référence pour nos jeunes confrères mais, l’affaire Sheik-Hossen demeure pour nous un cas d’école !
Joël TOUSSAINT
1 Sherry Singh fait état d’images vidéo enregistrées entre 12:59 et 18:52.