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Le Soudan est en passe de valider un projet de base militaire donnant à la Russie accès à la mer Rouge. Le 23 février, à la veille du déclenchement par Vladimir Poutine de « l’opération spéciale » en Ukraine, une délégation soudanaise, emmenée par le numéro 2 du régime, le général Mohammed Hamdane Daglo, dit Hemedti, a été reçue à Moscou.
« Si un pays veut une base sur nos côtes, que cette base satisfait nos intérêts et ne menace pas notre sécurité, qu’elle soit russe ou autre, nous allons coopérer », a-t-il lancé à la presse à son retour de Russie. L’agence de presse d’État soudanaise, Suna, a également expliqué que les deux pays avaient convenu de relancer tous les précédents accords économiques, diplomatiques, politiques et de sécurité.
Ce projet de base navale russe au Soudan remonte en réalité à 2017. Vladimir Poutine et l’autocrate Omar El-Béchir avaient signé un accord stipulant que Moscou obtiendrait un bail de vingt-cinq ans pour construire une base à Port-Soudan, le principal port du pays. Elle devait permettre d’accueillir 300 hommes et jusqu’à quatre navires de guerre.
Le projet avait été mis entre parenthèse, toutefois, depuis la chute d’Omar El-Béchir en 2019 et son remplacement par un pouvoir partagé entre civils et militaires. Khartoum s’était rapproché des chancelleries occidentales pendant cette période de transition démocratique. Le pays a été retiré de la liste des États soutenant le terrorisme, bénéficiant ainsi d’un rééchelonnement de sa dette et d’un soutien économique massif de la part des États-Unis.
Cependant, le coup d’État du général Al-Burhane en octobre 2021 et le retour d’un pouvoir militaro-islamiste a rebattu les cartes, recréant des conditions favorables à une coopération renforcée avec la Russie. Pendant huit jours, le général Daglo, le chef des paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR), aussi redoutables que redoutées, a rencontré de nombreux officiels russes dont le ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov.
La Russie et le Soudan semblent donc en bonne voie pour ressusciter un projet de base militaire offrant aux Russes un accès stratégique à la mer Rouge. Ainsi, plus la presse occidentale prétend que la Russie serait isolée sur la scène internationale depuis l’invasion de l’Ukraine, on constate au contraire que Moscou est en mesure de renforcer ses liens avec un certain nombre de pays africains.
L’Europe a fait de la Russie « un paria » de la scène internationale depuis son invasion de l’Ukraine, le Soudan pour sa part subit les foudres de l’Occident depuis le coup d’État militaire du 25 octobre. Mais, l’histoire a amplement démontré que la coopération peut toujours surgir entre ceux qui sont mis au ban par les dominants. Les Etats-Unis éprouvent beaucoup de mal à tirer les enseignements de leurs rapports de force qui s’achèvent à chaque fois en pertes et fracas pour leurs militaires comme pour les civils qui se trouvent dans les zones soumises à leurs avidités.
Première base militaire russe en Afrique
Si ce projet est mené à terme, le Soudan offrirait à la Russie sa première base militaire russe en Afrique depuis l’effondrement de l’URSS. France 24, dont on comprend les vues biaisées en ce moment où, entre autres, la France assume la présidence de l’Union Européenne, faisait intervenir l’historien Gérard Prunier, spécialiste de l’Afrique de l’Est, sur ce sujet délicat. L’expert, dans un premier temps, invitait à tempérer la démarche « Pour le moment, il n’y a que des paroles et aucuns travaux du port n’ont été lancé », dit-il. Il prédisait cependant un rapprochement accéléré entre les deux pays.
Arnaud Peyronnet de l’Observatoire stratégique de la Méditerranée et du Moyen-Orient, apportait cependant la contrepartie. Pour les Russes, faisait-il remarquer, l’intérêt d’une base navale au Soudan est hautement stratégique. Une base sur la mer Rouge donne un accès direct aux mers chaudes « qui sera ainsi potentiellement un point d’appui de choix des forces navales russes pour le Moyen-Orient et la côte est-africaine », note-t-il. Les considérations néanmoins ne sont pas uniquement d’ordre militaire, mais aussi de nature économique. L’objectif intermédiaire serait également de faciliter l’extraction d’or, de terres rares et d’autres ressources contrôlées par les FSR de Hemedti et l’armée soudanaise, dont la mainmise est quasi-totale sur tous les secteurs de l’économie.
Le rapprochement entre le vice-président soudanais et la Russie, accéléré par le déclenchement de la guerre en Ukraine, suscite les plus vives inquiétudes dans la région et de l’Egypte plus particulièrement, qui s’inquiète de voir une base russe s’installer à l’extrémité de la mer Rouge.
Déjà sous Omar el-Béchir, des accords avaient été signés entre des compagnies liées à Evgeny Prigozhin – l’equivalent de Vincent Bolorré pour la France. Prigozhin, l’homme du Kremlin en Afrique de par ses liens avec Wagner, dispose de M Invest et de sa filiale soudanaise Meroe Gold. Il avait fait l’objet de sanctions en juillet 2020 de la part des États-Unis qui l’accusaient « d’exploiter les ressources naturelles du Soudan pour son enrichissement personnel ».
Les forces paramilitaires soudanaises entretiennent depuis plusieurs années des liens avec le Kremlin et son bras armé sur le continent : la milice privée Wagner. « Au Soudan, les hommes de Wagner sont étroitement contrôlés par Hemedti qui les utilise comme gardes de sécurité sur ses mines d’or illégales », assurait Gérard Prunier.
On peut considérer que cette présence du groupe Wagner au Soudan s’inscrit plus globalement dans la stratégie russe en Afrique. Stratégie qui consiste à s’arrimer à des pays africains en phase de transition politique et à les soutenir économiquement, comme en Centrafrique, en Libye ou encore au Mali.
Inquiétude des Etats-Unis
La perspective de voir une base navale russe au Soudan suscite une inquiétude grandissante parmi les responsables militaires américains explique le Wall Street Journal. Le très respecté journal rappelait que l’année dernière, le général Stephen Townsend, chef du commandement militaire en Afrique, avait déjà assuré (lors d’une audition devant les sénateurs) que ce projet était une préoccupation majeure pour les États-Unis.
Face à ce rapprochement, les Occidentaux se trouvent désormais confrontés à un dilemme. « Avec nos sanctions, nous sommes tout simplement en train d’offrir le Soudan sur un plateau aux Russes », avouait un diplomate cité par l’AFP. « Les généraux ont survécu en autarcie sous l’embargo contre Béchir, donc nos menaces pèsent peu ».
C’est vrai que depuis le coup d’État, la junte au pouvoir au Soudan mène une répression brutale contre les manifestants qui continuent à descendre dans la rue pour réclamer le retour d’un pouvoir civil. Selon l’ONU, au moins 85 manifestants anti-putsch ont été tués au Soudan depuis le 25 octobre, sans compter des centaines de violations des droits humains perpétrés « dans un contexte d’impunité totale ». Mais, on ne peut pas dire que les paramilitaires soudanais manquent de vision au plan militaire comme au plan économique.