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La déclaration faite par le Directeur des Poursuites Publiques (DPP) sur le lien entre le financement de l’importation de la drogue et les mécanismes de paiement dans le secteur financier est à la fois significative et révélatrice. Elle s’insère dans le contexte où le pays a été placé par l’Union Européenne (UE) sur la liste noire des juridictions à hauts risques en raison des carences stratégiques dans son régime légal contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, et ce depuis le 1er ocotobre.
D’une part, la déclaration est significative parce que, contrairement à ses prédécesseurs qui gardaient le mutisme complet sur leurs opinions ou décisions, l’actuel DPP n’hésite pas à s’exprimer en public pour dire ce qu’il pense sur une question spécifique lorsque l’occasion s’y prête. D’autre part, elle est révélatrice de l’indépendance d’esprit au sein du bureau du DPP au moment où le pays fait face à des dérives autoritaires qui rétrécissent la marge de manœuvre des contre-pouvoirs tout en remettant en question la séparation des pouvoirs.
Dans le passé, les anciens titulaires du poste ne donnaient aucun commentaire sur des questions cruciales qui interpellaient le public, ni aucune explication dans des cas où une décision de nolle prosequi1 contre des suspects pouvait être sujet à controverse. Ce silence permettait toutes sortes d’interprétations au sein du public intéressé. L’actuel titulaire montre des dispositions de communiquer avec le public au besoin.
Ainsi, il est intervenu sur une radio pour expliquer son positionnement après que le représentant du DPP eut demandé en Cour l’arrêt du procès privé intenté par un citoyen contre deux ministres dans le sillage du naufrage du Wakashio. Il a dit que cette prise de position, survenue en l’absence d’une déclaration des défendeurs au sujet des charges alléguées contre eux, n’empêche pas la reprise de la poursuite à la lumière des évidences que l’enquête de la police pourrait déceler. Plus récemment, le DPP a demandé au CCID de rouvrir l’enquête sur les requêtes de l’ex-commissaire de police à ses subordonnés du service de l’immigration d’avaliser une demande de passeport faite par un citoyen qui fut subséquemment arrêté à la Réunion dans une affaire de drogue.
Avant le 1er octobre, il restait au pays cinq critères d’efficacité à satisfaire sur une liste de 58 critères dressée par la Groupe d’Action Financière (GAFI-FATF) de l’OCDE pour évaluer l’efficacité de son dispositif de combat contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Récemment, un projet de loi [Anti-Money Laundering and Combatting the Financing of Terrorism (Miscellaneous Provisions) Bill 2020 (AML-CFT)] a été voté au Parlement pour remédier aux carences stratégiques du dispositif AML-CFT. L’UE devrait évaluer la nouvelle loi AML-CFT avant de prendre une décision finale sur le sort de Maurice. La question est de savoir si elle s’intéressera aussi à ce qui se passe dans le secteur financier en général en termes de mouvements de capitaux et de gouvernance.
A cet égard, la préoccupation du DPP concernant le financement de l’importation de la drogue à travers le circuit bancaire ou par d’autres moyens soulève une problématique plus large, celle du financement de toutes sortes de trafics illicites dans le secteur des services financiers (bancaire et non-bancaire).
Si tous les détenteurs de postes constitutionnels jouaient leur rôle comme le DPP, le pays serait bien loin dans l’application rigoureuse des lois, assurant ainsi la mise en conformité du pays avec les normes internationales de gouvernance financière.
1Terme latin indiquant la décision de ne pas donner suite. Au plan juridique, cela indique la décision du procureur de ne pas engager de procédure judiciaire.