Temps de lecture : 4 minutes
Si les politiques, et même ceux de l’Opposition, se fient généralement aux sondages du service de renseignements, ils n’ont pas eu besoin d’attendre un rapport pour comprendre qu’il fallait se mettre à l’abri avec le paratonnerre Laurette et laisser le Premier ministre s’attirer seul les foudres populaires. L’appel de l’activiste social a permis de fédérer des frustrations et des colères accumulées pour en faire une énergie débouchant sur une expression forte : « Bour Li Déor ! ». Pravind Jugnauth pourrait remercier Bruneau Laurette, qu’il ne le fera jamais assez. Car, il doit, lui aussi, au paratonnerre Laurette de survivre à la tempête d’une foule électrisée.
A bien voir, la mission de Laurette aurait dû être salutaire pour le gouvernement. Mais Pravind Jugnauth aujourd’hui, sans Anerood, n’est entouré désormais que d’ânes rudes. Car, qu’il s’agisse du père Jugnauth ou de Navin Ramgoolam, ceux-là savaient s’entourer de personnes aptes à les conseiller. Et ce n’est pas dans nos colonnes que l’on osera comparer un Ken Arian à un Dan Callikhan, ou un Jean-Paul Arouff à feu-Christian Ithier ou à Subash Gobine qui était, comme lui, journaliste au Nouveau Militant. Considérés comme des cyniques par ces nombreux journalistes de l’époque qui trouvaient normal d’assujettir leur indépendance à des sympathies bérengistes, ces conseillers-là pouvaient, eux, procéder à des analyses cliniques. Car, contrairement aux petites frappes issues des écoles de la communication marketing, ceux-là avaient la faculté de se méfier de leur propre propagande. Celui qui se met à croire que le père ou le fils Jugnauth seraient capables de produire la moindre pensée politique ne peut que les mener à leur perte. Mais voilà, pour avoir souffert de s’être retrouvé au Parquet à l’ombre des Henry Garrioch, Robert Ahnee ou Soomer Lallah, Anerood Jugnauth a fini par connaître ses limites. Ses conseillers aussi, qui prenaient soin de ne pas trop charger le baudet. Mais, comment prévenir ces écueils à son rejeton atteint de délires de grandeur ?
Maintenant que le drame écologique et économique du Wakashio prélève aussi sa part de vies humaines, est-il vraiment judicieux de taire la parole parlementaire ?
Jamais aucun Premier ministre mauricien n’aura obtenu une réponse aussi claire au sujet de sa popularité du moment. A moins d’être encore plus imbécile que l’entourage qu’il s’est choisi, Pravind Jugnauth devrait avoir compris où se situe la limite du tolérable dans ce pays. Pour l’avoir dépassé, il se retrouve face à un mouvement qui n’attend plus de lui d’excuses pour lui indiquer où il a fauté. Car, même si la dynamique impulsée par Bruneau Laurette devrait naturellement s’essouffler, Pravind Jugnauth laisse dans son sillage une telle chiée de scandales qu’elle révèle cette faillite des institutions qui fait que la population, que l’on croit amorphe et indifférente, a fini par s’identifier aux victimes de chacun de ses scandales.
Des propos outranciers aux actes outrageants, on pensait avoir tout vu sous l’administration d’Anerood Jugnauth. Une exposition continue au fascisme ignoré, parce qu’il s’était habilement paré des attributs du socialisme, a accentué la cécité à l’instauration graduelle du cartel parlementaire ; les partis se reproduisant en vase clos par des combinaisons d’alliances électorales, accouchent d’une opposition factice et instaurent, en réalité, le parti unique. Et ce fascisme, qu’ils avaient jusqu’ici omis de dénoncer, les éditorialistes issus de la période du bérengisme naissant et désormais déclinant n’ont rien trouvé de mieux que de le suggérer en s’interrogeant au sujet de Bruneau Laurette. C’est qui donc ce gars qui ne correspond aucunement aux bêtes politiques qu’ils savent placer dans les catégories de perception qu’ils conditionnaient jusqu’ici plutôt habilement ?
Pravind Jugnauth est, en réalité, incapable de grandeur. Il aura déçu ceux qui s’attendaient que, tel De Gaulle, il lance : « Je vous ai compris ! ». Il n’en fut rien. Mais, ce n’est pas une raison pour s’interdire d’appréhender Bruneau Laurette tel le Maréchal Leclerc investissant graduellement les villes de la Normandie jusqu’à Paris. Lui aussi est maintenant condamné à aller jusqu’au bout de sa mission de libération. Car, de même le lâche en France en ce temps-là, le pleutre à Maurice est maintenant atteint d’une soudaine bravoure ; voilà le plus âgé qui fredonne « solda-lalit-militan », et le plus jeune qui se rêve en résistant…
Laurette a libéré la défiance chez cette multitude de Mauriciens. Ceux-ci ont encore besoin d’aller à la reconquête de leur dignité trop longtemps atrophié par les gouvernements successifs, et ce gouvernement en particulier qui, lancé dans ses dérives autoritaires, laissait libre cours aux expressions droitistes comme l’exaltation du nationalisme hindou.
Ce n’est donc pas tant Bruneau Laurette qu’il importe d’étudier. Ce qui nous paraît d’intérêt, c’est la manière dont une multitude s’est approprié l’audace de cet homme pour s’opposer à la dérive constante du personnel politique, et de ce gouvernement en particulier. Ce peuple, après s’être battu contre la marée noire pendant que le gouvernement était perçu jouant l’attentisme, est aujourd’hui à cran car les choses ont empiré depuis que ce gouvernement a voulu reprendre les choses en main. Maintenant que le drame écologique et économique du Wakashio prélève aussi sa part de vies humaines, est-il vraiment judicieux de taire la parole parlementaire ?
Jusqu’ici l’ordre et le calme ont prévalu parce que, de même que pour la mer, ce peuple est animé d’une réelle volonté de préserver l’harmonie sociale. Mais, si c’est Pravind Jugnauth lui-même qui leur paraît déterminé à la compromettre, la réaction pourrait relever d’un patriotisme bien plus énergique que celui dont se gargarise le Premier ministre. Si on en arrive là, il est certain que ce n’est pas Bruneau Laurette qui parviendra cette fois à orienter positivement la fureur populaire. Pravind Jugnauth pourrait alors voir éclore ce que couve Laurette !