Pétrole : BP estime que la demande mondiale a atteint son pic

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Bernard Looney, le nouveau patron de BP

Alors que l’OPEP prédit une baisse de la demande mondiale de pétrole en 2020 et 2021, BP, le géant britannique des hydrocarbures, estime que la demande mondiale de pétrole pourrait déjà avoir atteint son pic, et continuera de décliner en raison des conséquences de la pandémie et de la transition énergétique. C’est la première fois qu’une « major » prédit un tel retournement. Total tient un discours quasi identique : sans toutefois préciser comment il comptait procéder, Patrick Pouyanné, son patron a reconnu dans Le Monde que la question de la pérennité des compagnies pétrolières est posée si elles ne se réinventent pas dans les nouvelles technologies, notamment les énergies renouvelables ou la capture de CO2.

Dès sa prise de fonctions le 12 février dernier, Bernard Looney avait annoncé qu’il voulait atteindre la neutralité carbone en 2050. Classée par le quotidien britannique le Guardian comme la société privée européenne la plus polluante depuis 1965, BP amorce un changement radical. Ainsi, dans une étude révélée lundi, le groupe BP envisage trois scénarios sur la transition vers une énergie plus verte à échéance 2050, de la plus lente à la plus rapide. Le premier, nommé « Business as usual », et considéré le plus favorable à BP, suppose une stabilisation de la demande au cours des prochaines années puis une baisse lente et régulière jusqu’en 2050. Dans ce scénario, la demande en gaz naturel continuerait d’augmenter.

Dans les deux autres projections, BP envisage une chute beaucoup plus rapide de la demande en pétrole. Dans le scénario « rapide », la demande pourrait être réduite de moitié d’ici 30 ans, ramenant le niveau de production à « seulement 50 millions de barils par jour » au lieu du double actuellement. Dans le dernier scénario, la baisse serait encore plus importante, avec une demande limitée à 20 millions de barils par jour, soit 20 % de notre consommation de 2020, d’ici 2050. La demande en gaz diminue également dans les deux derniers scénarios.

Le 12 février dernier, quand Bernard Looney prenait les rênes du groupe, le baril de brent s’échangeait à 56 dollars. L’arrêt des échanges, des transports, des avions, de l’activité avec le Covid l’a fait tomber à 20 dollars. Depuis la demande est repartie en Asie et retrouve ses niveaux d’avant Covid, mais le prix du baril de brent reste sous les 40 dollars. Pour le patron de BP, il ne s’agit pas d’un phénomène conjoncturel, mais une tendance de fond.

Le groupe pétrolier britannique BP avait fait une première annonce choc le 15 juin dernier : il dépréciait tous ses actifs de 20% et annonçait qu’il n’exploitera pas toutes ses réserves. BP dévoilait en même temps ses ambitions dans le domaine des énergies renouvelables. Le géant ne compte pas disparaître, mais se renouveler en axant son développement sur les nouvelles énergies renouvelables. Dans ce domaine les investissement de l’entreprise allaient passer de 500 millions de dollars par an à 5 milliards de dollars d’ici dix ans. Une semaine plus tôt, il avait déjà annoncé la suppression de 10 000 postes.

Looney précise aujourd’hui que les conclusions de leur étude « ont joué un rôle clé » dans l’élaboration de la nouvelle stratégie du groupe qui veut passer ses activités au vert et devenir, non plus seulement un groupe pétrolier mais un groupe énergétique. En somme, BP veut multiplier par 10 ses investissements dans les énergies à faible émission carbone d’ici 2030, pour atteindre 5 milliards de dollars par an, afin de respecter ses engagements à devenir neutre en carbone d’ici 2050.

BP prévient toutefois que la transition énergétique ne pourra avoir lieu que si de nouvelles mesures sont prises par les gouvernements pour limiter les émissions de CO2. « Même si la pandémie a beaucoup réduit les émissions carbone, le monde reste sur une trajectoire qui n’est pas tenable », assure BP. « Toutefois, avec des mesures politiques déterminantes et davantage de choix d’énergie à bas carbone pour les entreprises et les consommateurs, la transition énergétique est possible », estime Bernard Looney.

L’OPEP confirme les tendances baissières

Dans son rapport mensuel sur le pétrole, l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) s’est montrée lundi plus pessimiste pour la demande mondiale de pétrole cette année et en 2021. Sa prévision de l’évolution de la demande a été révisée à la baisse de 0,4 million de barils par jour (mb/j) par rapport au mois d’août, indique l’OPEP. La demande mondiale cette année doit ainsi reculer plus fortement qu’anticipé jusqu’à présent, de 9,5 mb/j, pour atteindre 90,2 mb/j en raison de la crise sanitaire et économique liée à la pandémie de Covid-19, et plus particulièrement la faiblesse persistante dans certains pays asiatiques.

Cette révision est notamment liée aux difficultés que connaissent certains pays d’Asie. « Jusqu’à présent, la demande pétrolière en Inde, en Indonésie, en Thaïlande et aux Philippines a été bien moins solide que ce qui avait été attendu initialement », explique l’OPEP.

La raffinerie de BP dans l ‘Indiana (USA)

Cette conjoncture négative dans certains pays asiatiques devrait se encore faire sentir au premier semestre de l’an prochain. Par conséquent, les prévisions concernant la demande mondiale pour 2021 ont aussi été revues en baisse, de 0,4 mb/j par rapport au mois dernier. Selon les dernières prévisions de l’OPEP, cette demande devrait rebondir de seulement 6,6 mb/j en 2021 pour s’établir à 96,9 mb/j.

Pour le groupe pétrolier britannique, la demande pour le seul secteur des transports ne fera que reculer quel que soit le scénario, en raison de la baisse du nombre de déplacements à court terme occasionnée par la pandémie et de l’essor des véhicules électriques sur le long terme.

« L’argument semble être que le Covid-19 a accéléré des tendances qui étaient déjà à l’œuvre, à savoir un moindre recours au pétrole et au gaz en raison des préoccupations environnementales de la société, des responsables politiques et des investisseurs », résume Russ Mould, analyste chez AJ Bell, cité par l’AFP.

De fait, le groupe pense que la demande en énergie va être plus faible pendant « une période prolongée ». Au-delà du pétrole, le géant pétrolier britannique estime que le gaz fera preuve de résistance dans les 30 prochaines années notamment en permettant de se substituer au très polluant charbon dans les économies émergentes. Les énergies renouvelables seront celles qui bénéficieront de la plus forte croissance dans le monde dans n’importe quel scénario, notamment le solaire et l’éolien. BP avait d’ailleurs annoncé la semaine dernière son entrée sur le marché de l’éolien en mer, en investissant un milliard de dollars dans des projets portés par le groupe norvégien Equinor aux Etats-Unis.

Le pétrole passe au vert

En considérant les plans des gouvernements et de l’Union européenne qui disent vouloir utiliser les plans de relance pour verdir l’économie, BP en conclut que le Covid sera un tournant dans la transition énergétique. Des plans comme ceux annoncés par l’Allemagne ou la France indiquent des dépenses de plusieurs milliards pour faire rouler les voitures ou voler les avions à l’hydrogène. Ce qui oblige les pétroliers à revoir leur business. Comme Patrick Pouyanné, le patron de Total, Bernard Looney il intègre une nette hausse à venir de la taxation du carbone. BP table ainsi sur un baril du pétrole qui resterait autour de 55 dollars entre 2021 et 2050, contre 70 dollars dans ses prévisions avant le Covid.

BP est toutefois loin d’abandonner le pétrole et le gaz dans lesquels il continuera à investir des milliards de dollars. Dans un commentaire à l’AFP, Susannah Streeter, analyste chez Hargreaves Lansdown, rappelle que le groupe produit toujours 2,6 millions de barils de pétrole par jour et met ainsi la démarche en perspective : « Prendre un virage sec pour s’éloigner de son cœur de métier et aller vers les renouvelables pourrait faire fuir les investisseurs habitués à recevoir de confortables dividendes, ce qui oblige M. Looney à jouer les équilibristes ». Dans un entretien lundi au Financial Times, B. Looney admet bien que « En 2030, BP sera encore un grand producteur d’hydrocarbures », précisant « ne pas pouvoir couper le robinet du jour au lendemain ».

Selon le rapport de l’OPEP, « Les risques restent élevés et orientés à la baisse, particulièrement en ce qui concerne l’évolution des cas d’infection au Covid-19 ainsi que de potentiels traitements ». Le cartel est engagé avec ses alliés, dont la Russie, dans une politique de restriction volontaire de sa production afin de soutenir les cours du brut. Selon des sources secondaires (indirectes) citées dans le rapport, les pays membres de l’OPEP ont toutefois pompé plus au cours du mois d’août par rapport à juillet. Entraînée notamment par l’Arabie saoudite, l’OPEP a ainsi produit un supplément de 763 000 barils par jour !


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