Exceptions à la Road Traffic Act: Des Kanwars Hors-normes aux Oriflammes, la Police Récidive

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Visibilité compromise sur la voie publique avec les oriflammes : la cécité des autorités

La responsabilité des dix morts des pèlerinages du Maha Shivaratree doit être établie à la lumière des exceptions à la Road Traffic Act

Les oriflammes placées sur la voie publique et, en particulier celles qui compromettent la visibilité des conducteurs et autres usagers de la route, ne se conforment pas à la législation mauricienne régissant la circulation routière. En adoptant la cécité aux dangers que cela représente sur la voie publique, la police et le commissaire au Transport abdiquent, encore une fois, leurs responsabilités. En effet, en n’appliquant pas rigoureusement les dispositions de la Road Traffic Act (RTA), ils créent une situation d’exception potentiellement mortifère. D’ailleurs, c’est bien ainsi que des pèlerins se rendant au Ganga Talao avaient trouvé la mort en 2023 et 2024. De toute évidence, l’impunité des responsables contribue à la récidive.

« Folklore locale », avancent quelques hurluberlus, faisant valoir qu’à chaque élection des partisans des formations en lice ont l’habitude d’envahir l’espace public de leurs oriflammes et autres bannières. Cet incivisme serait donc à mettre à l’ordre des coutumes qu’il faudrait normalement supporter le temps d’une campagne électorale. Normalement ? Est-ce vraiment normal ? Dans une telle éventualité, qui seraient ceux qui fixent les normes ? Or, il y a bien des législations, des règles édictées en bonne et due forme par des élus habilités à déterminer l’usage convenable de la voie publique. Et, l’accent mis sur les aspects sécuritaires des réglementations dans la Road Traffic Act indique qu’en réalité, l’attitude débonnaire face à l’irrespect des lois relève du raisonnement extravagant de ceux qui tiennent des propos inconsidérés.

Au rond-point de Ripailles, par exemple, sur la route de raccordement1 Terre-Rouge – Verdun, ceux qui arrivent du nord voient à peine les voitures d’en face à travers le rideau d’oriflammes orange. Les voitures se rendant vers le nord bifurquent vers la gauche et d’autres s’engagent dans le giratoire en direction de Nouvelle-Découverte. C’est là que le risque d’accident est réel, puisque les véhicules venant du nord ayant très peu de visibilité sur les voitures d’en face, s’engagent de manière hasardeuse dans le giratoire, forcant ainsi les véhicules allant en direction de Nouvelle-Découverte à freiner. Ce qui relève de la folie furieuse ou de la stupidité meurtrière2.

Les conséquences, en cas d’accident, peuvent être désastreuses : les conducteurs venant du nord sont coupables de facto pour avoir coupé la voie à ceux qui avaient priorité puisque venant de la droite à ce rond-point. La législation est claire à ce sujet : « Failing to give way to traffic from the right when approaching a roundabout »3. Donc, coupable, à première vue. Mais le conducteur en est-il pour autant responsable ou est-ce que d’autres ne se seraient pas conformés aux responsabilités qui leur incombent ? Cette question est essentielle car, en droit, il importe de démontrer l’intentionnalité, le « mens rea », pour déterminer la culpabilité.

Force donc de constater que, même si une voiture venant de Saint-Pierre et Moka aurait mis ses clignotants, ceux-ci demeurent très peu visibles compte tenu de la couleur orange des oriflammes. A bien voir, cela ne change rien selon que ce soit de jour ou de nuit, c’est la visibilité qui a été compromise en raison de l’installation de ces rideaux d’oriflammes. Il s’agit bien d’un cas d’obstruction sur la voie publique et celle-ci constitue un délit contre lequel les autorités n’ont toujours pas sévi. C’est donc cette inaction de la police qui interpelle. Elle ne peut plaider l’ignorance : il y a un motard de la police qui règle la circulation à cet endroit chaque matin !

Emblèmes et mascottes prohibés

L’article 155 de la Road Traffic Act ne laisse planer aucune ambiguïté sur la nature du délit qui met en cause : « Any person who for any purpose places or causes to be placed a rope, wire or other apparatus across a road or any part of a road in such manner as to be likely to cause danger to persons using the road ».

Le danger pour les usagers de la route ne se limite pas à la seule question de la visibilité obstruée par les installations de nature délictuelle. Des motocyclistes réagissent aussi pour faire comprendre la dangerosité des piquets en fer aux abords des rond-points, des rectangles et des îlots qu’il puisse s’agir des routes principales, des routes de raccordement, ou des carrefours en milieu urbain comme en milieu rural. En cas de chute, les motocyclistes qui seraient projetés sur les remblais aux abords de ces rond-points risquent des lacérations, voire la perforation. Ces obstructions sont donc potentiellement criminels car attentatoires à la vie des usagers de la route.

« The prohibition of emblems, mascots or other devices that are liable to be a source of danger to any person on the road or of distraction to the driver or to other road users » – Section 190 (r) (ii) Road Traffic Act.

Face à la gravité des conséquences, on pourrait être surpris que les législateurs n’aient pas opté pour des sanctions financières plus sévères pour les contrevenants à cet article 155 de la RTA. Le délit d’obstruction sur la voie publique est punissable d’une amende de seulement Rs 1 000 au maximum. Mais l’infraction est également punissable de l’emprisonnement pour un terme n’excédant pas douze mois.

Cependant, il ne faudrait peut-être pas s’arrêter au seul article 155 de la RTA. Car, en vertu de l’article 190 ayant trait aux réglementations, il est aussi question à l’alinéa (r) (ii) : « the prohibition of emblems, mascots or other devices that are liable to be a source of danger to any person on the road or of distraction to the driver or to other road users ». Cette prohibition des emblèmes et autres dispositifs caractérise davantage le délit d’obstruction et l’amende sous un tel chef d’accusation passe à Rs 10 000 assorti de l’emprisonnement pour un terme ne dépassant pas un an.

Politique ou religieux, le folklore est-il au-dessus des lois ?

L’inaction de la police dans ces conditions devient tout simplement ahurissante. Mais cette inaction n’est pas nouvelle. Souvenons-nous du pèlerinage au Ganga Talao en 2023 : le même motif du folklore fut invoqué alors qu’il y avait eu mort d’homme. Ce folklore, religieux cette fois, devenait le justificatif d’une exception aux réglementations de la RTA. Ainsi, au-delà de ce que nous citions au sujet de la prohibition des emblèmes et autres dispositifs pouvant être source de danger pour les usagers de la route, l’alinéa (r) (i) de ce même article 190 inclut la « construction and equipment of vehicles, motor vehicles and trailers and the conditions under which they may be used on roads ». La construction des kanwars gigantesques était ainsi bel et bien concernée.

Déjà en 2023, suite aux décès survenus dans le cadre du pèlerinage à Grand-Bassin, Indocile faisait remarquer que la tragédie ne se conformait pas à l’accident qui aurait résulté de phénomènes inexpliqués et inexplicables que le jargon juridique qualifie de « Act of God ». Cela relèverait même du blasphème que de le suggérer, même si un tel recours ne semble pas avoir embarrassé ceux qui font habituellement commerce des fidélités ethno-religieuses et qui s’en sont servis comme bouclier supra-ethnique.

Dans les faits, il s’avère que, année après année, de nombreux dévots se retrouvent happés dans les délires du gigantisme pour satisfaire le jury d’un concours de créativité concernant les kanwars. Ainsi, de différentes régions, les kanwars affluent, rivalisant les uns avec les autres dans une compétition faisant fi des installations électriques et du trafic routier. C’est le choix de l’ostentation plutôt que la manifestation d’une piété plus conforme aux préceptes religieux hindous qui incitent à la modestie. A un point tel que cela divise la communauté entre ceux qui s’organisent pour encombrer l’infrastructure routière de leurs kanwars hors-normes et les pèlerins déterminés à porter des kanwars minimalistes et ainsi conjuguer la retenue et la discrétion à leur sens de civisme dans l’usage de la voie publique.

Quelle justice pour les morts des kanwars hors-normes ?

On sait qu’en 2023, il y avait une Task Force au niveau du gouvernement pour préparer ce pèlerinage. Une Task Force présidée par nul autre que Pravind Jugnauth, le Premier ministre et ministre de l’Intérieur. Parmi les membres de cette Task Force, le commissaire de police. C’est lui qui est responsable de l’application des dispositions de la RTA, c’est-à-dire de s’assurer que les kanwars soient conformes à la législation régissant les véhicules et autres remorques qui empruntent la voie publique. Ces véhicules ou remorques, quelles que soient leur type de motricité (mécanique, animale ou humaine) doivent être déclarées et peuvent ainsi être assurées selon la catégorie dans laquelle la National Land Transport Authority (NLTA) les auraient classées. Et pour cela, l’article 3 (1) a prévu un Road Transport Commissioner chargé de veiller au respect de la RTA.

Le commissaire de police, ainsi que le commissaire de la NLTA, tout comme leurs prédécesseurs d’ailleurs, sont tous devenus amnésiques à leurs responsabilités légales et ont visiblement oublié qu’il leur incombe de veiller au strict respect des dispositions de la RTA. Ce qui a eu pour conséquence d’instaurer un régime d’exception, permettant à divers individus responsables d’organisations et de regroupements prétendument représentatifs de « la communauté hindoue », sans qu’ils ne soient fondés de quelque autorité au plan légal, de donner des consignes aux pèlerins.

C’est dans ce contexte que survenait la tragédie de 2023, quand un kanwar hors-normes heurtait un câble de haute tension et fit trois morts. Déjà à ce moment-là, Indocile faisait ressortir qu’il y a des lois qui, de toute évidence, ont été ignorées non seulement par les victimes, mais aussi et surtout par ceux chargés de veiller à leur application. Est-ce que le commissaire de la NLTA avait fait valoir au Task Force que la loi exigeait la conformité à la RTA de tout véhicule et remorques empruntant la voie publique ? Le commissaire de police avait-il fait ressortir qu’il était tenu d’appréhender tout contrevenant aux dispositions de la RTA ? Dans les faits, on peut seulement se rendre compte que, quand bien même qu’ils étaient en situation d’illégalité sur nos routes, de nombreux convois de kanwars hors-normes étaient escortés par des motards de la police. En somme, la bigoterie politicienne avait institué une situation d’exception favorisant la cécité du commissaire de la NLTA et, comble de l’ironie : elle aura permis à des hors-la-loi de bénéficier de l’assistance policière !

On se serait attendu à une enquête judiciaire sur le décès des trois pèlerins ; les morts ont aussi droit à la justice qui consiste à faire la lumière sur les circonstances dans lesquelles ils ont perdu la vie. Mais rien ; le bureau du DPP n’a toujours rien entrepris. La question ethno-religieuse serait apparemment un sujet sensible pour la société mauricienne. Le non-respect des lois le serait moins, et peut-être même pas du tout.

En somme, la bigoterie politicienne avait institué une situation d’exception favorisant la cécité du commissaire de la NLTA et, comble de l’ironie : elle aura permis à des hors-la-loi de bénéficier de l’assistance policière !

A cette époque, il y avait déjà de l’eau dans le gaz dans le relationnel entre le commissaire de police et le bureau du procureur, le directeur des poursuites publiques (DPP). La situation ne s’était guère améliorée l’année suivante quand survint un nouveau drame faisant encore plus de victimes à Arsenal. Sept morts cette fois, dix au total, et toujours pas la moindre enquête judiciaire.

La racaille politique et la canaille des croyances

Le 16 mars 2024, Indocile révélait plus explicitement les dispositions de la RTA qui n’avaient pas été respectées par les constructeurs des kanwars hors-normes. Au-delà de la notion de culpabilité éventuelle de ceux-ci, dont les victimes eux-mêmes, nous faisions ressortir la notion de responsabilité attribuée par la législation au commissaire du trafic routier ainsi que celui chargé du respect du code de la route, en l’occurrence le commissaire de police. S’étaient-ils, en vertu des responsabilités qui leur incombaient, acquittés de leurs devoirs au sein de la Task Force de 2023 présidée par Pravind Jugnauth ? Ont-ils assumé leurs responsabilités un an après la tragédie survenue à Albion au sein de cette même Task Force placée cette fois sous la tutelle du ministre de la Culture, Avinash Teeluck ? Ce dernier n’est pas un de ces benêts que les dirigeants de partis catapultent habituellement dans le fauteuil de ce ministère. Il n’est pas comparable à Mukeshwar Choonee, Dan Baboo ou Mahen Gowressoo. Avinash Teeluck est juriste ; tout comme Prithvirajsing Roopun, et demain qui sait ?, selon les critères du MSM, il pourrait être pressenti comme président de la République ! Mais, trève de digression, pour une enquête judiciaire, c’est le procureur qui initie la procédure. C’est sa prérogative.

Ainsi, dès la survenue de cette nouvelle tragédie, nous évoquions ce régime d’exception qui avait jusqu’ici prévalu et qui nous procurait le non-respect des dispositions de la RTA. Nous considérions même qu’il était plus important encore « de savoir comment et pourquoi les détenteurs de l’autorité publique auraient soit abdiqué de leurs fonctions établies par la loi ou, au contraire, consenti à ce que la législation soit bafouée et violée. Comment Avinash Teeluck, ministre des Arts et du Patrimoine culturel, a pu considérer que les « recommandations » de son comité pouvaient supplanter une législation à laquelle tous les usagers de la route sont tenus de se soumettre INDISTINCTEMENT ? ». Nous posions même, comme motivation éventuelle à cette exception culturelle et cultuelle, la question de l’usage de la fonction publique aux fins de gratification électoraliste ! M. Beekharry, patron de l’ancien et du nouvel organisme anti-fraude, anti-corruption et anti-blanchiment, quand bien même que l’occasion fait le larron, n’a pas sauté dessus !

Et toujours en mars 2024, nous mettions en garde contre la tentative de légiférer en faveur d’une loi fondée sur cette exception culturelle et cultuelle. L’argument du « tissu social fragile » a été agité à plusieurs reprises pour justifier les positions incohérentes du personnel politique mauricien embourbé dans ses hypocrisies manifestes. Et comme à chaque fois que cet argument est invoqué par les dirigeants politiques et religieux, ainsi que tous les écervelés des groupuscules ethnocentrés, la preuve d’un tissu social bien plus solide est administrée de manière non-équivoque. Nous sommes bien là, il faut le reconnaître, avec toute la racaille politique et la canaille des croyances multiples et variées, face à des agitateurs d’épouvantail, ces terroristes que l’on peine à qualifier comme tels !

Une législation d’exception pouvait seulement aboutir à la faveur du silence d’une opposition dont les partis s’étaient jusqu’ici rendus complices. Et la loi d’exception a bel et bien été adoptée en juin 2024. A l’Assemblée, Allan Ganoo et Avinash Teeluck ont su draper le déshonneur d’une fiction juridique.

Pour les rond-points, on aura noté l’incarcération pendant cinq jours d’un justiciable qui aurait enlevé des oriflammes au motif qu’il aurait attenté à quelque propriété privée. La privation de liberté d’un citoyen constitue normalement une exception dans le droit mauricien, mais peut-être devrait-on se réjouir que le magistrat ait été satisfait de l’existence, réelle plutôt que supposée, du propriétaire de ces oriflammes. Car, enfin, quelqu’un pourrait nous indiquer qui est responsable des obstructions constituant des infractions aux articles 155 et 190 de la Road Traffic Act. Si tant est qu’elle ait été motivée, la décision du magistrat pourrait nous permettre de comprendre éventuellement ce qui aurait pu avoir provoqué cette cécité potentiellement mortifère du commissaire de police ainsi que celui du commissaire de la NLTA.


1  « Link Road » dans le jargon anglophone de l’administration publique.

2  Les conducteurs devraient normalement rétrograder pour rester en phase d’accélération en s’engageant dans un tournant afin de pouvoir remettre les gaz et effectuer la reprise après avoir négocié les courbes.

3  Regulation 40 (10a) a) of the Road Traffic Regulations 1954 and section 163 of the Road Traffic Act.


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