Budget 2022-23 : Et quid de la confiance ?

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Richard Rault

Notre Grand Argentier s’est fendu d’un exercice ardu, ponctué de nombreuses mesures sociales et tâchant de réaliser un délicat numéro d’équilibriste entre dépenses et revenus pour nous annoncer un budget tablé sur des projections de croissance de 8,5% et de déficit de 4,5% du PIB.

Il faut bien sûr souhaiter que la réussite soit au rendez-vous car son échec serait celui du pays ; ce que tout patriote ne saurait souhaiter. Le PM, se portant en renfort de son ministre des Finances, aura été d’un bon soutien à ce dernier et aura rappelé que les circonstances obligent le Gouvernement à revoir sa copie quant au programme de développement pour apporter un soulagement à la population.

Certes, pas de baisse du prix des carburants et augmentation du prix des alcools et du tabac (taxer le vice fait toujours recette), mais des augmentations de salaires et des pensions, abolition de la taxe municipale pour les résidences, des détaxes multiples et des augmentations de plafonds sur l’Income Tax. Il faudra toutefois du temps pour pleinement mesurer l’impact de l’inflation, en ce moment à deux chiffres, sur ces mesures dans le porte-monnaie du Mauricien.

Par ailleurs le ministre n’a pas tari de promesses positives, notamment avec un taux de croissance élevé, quoique tempéré par la chute brutale de notre économie, causée par la pandémie du Covid, l’arrivée de 1,4 millions de touristes. Il s’est aussi étendu sur les dotations diverses qu’il aura effectuées sur le coût de la vie. Nous aurons aussi échappé à une augmentation du taux de TVA que l’on craignait.

Le Gouvernement semble cependant croire que le Budget Padayachy No3 va effacer les ardoises et remettre les comptes totalement à zéro. Que dès aujourd’hui, ragaillardis par les annonces souvent positives du budget, nous reprendrons vite le chemin de la croissance. Qu’il soit permis de douter du succès de toute relance réelle aussi longtemps que le Gouvernement optera de maintenir le système de marchés publics en place.

C’est justement le système dépassé, établi sous le Public Procurement Act 2006 qui est une des causes structurelles de l’affairisme qui nous étouffe.

En effet, si comme le rappelle le PM sur le besoin de renouer avec le programme électoral de 2019, pour notamment augmenter les pensions et les rapprocher du chiffre de Rs13,500 alors qu’ils étaient demeurés à Rs9,000 depuis 2019, alors il serait bon aussi de rappeler que parmi ces promesses se trouvait aussi la dotation d’une Freedom of Information Act, que la classe politique nous promet depuis des lustres.

En outre, le Gouvernement espère qu’avec les augmentations de pensions et de salaires pour les personnes à faibles revenus que les scandales dans lesquels il est empêtré depuis 2019 seront oubliés. Or, c’est justement le système dépassé, établi sous le Public Procurement Act 2006 qui est une des causes structurelles de l’affairisme qui nous étouffe et a même aggravé, pendant la pandémie, la crise économique.

Nous ne saurions oublier le recours systématique aux « emergency procurements », notamment l’affaire Pack & Blisters avec ses respirateurs défectueux au coût faramineux de Rs 476 millions. Ni l’attribution à des néophytes sans expérience de commandes de médicaments, le tout pour Rs 1,2 Milliards. Et le récent scandale du Molnupiravir nous a bien sûr rappelé combien nous demeurons vulnérables face à des gens qui contournent les règles et exploitent le système à leur profit et au détriment des intérêts du contribuable.

Nous n’avons pas plus digéré l’attribution de contrats pour Rs 22 milliards, dans le cas de la construction du métro, sans EIA, ni tenders à une entreprise étrangère, soit Larsen & Toubro, qui s’est empressée de faire venir sa propre main d’œuvre. La même chose s’est produite pour les constructions à Agaléga. Idem pour nos routes, dont on annonce que le budget prévoit Rs2,6 Milliards pour divers projets. Tandis que les travaux pour la CWA et la réfection de tuyaux sont chiffrés à Rs1 Milliard.

A chaque fois, ces projets s’accompagnent de prêts qui hypothèquent notre avenir sans pour autant booster notre économie au présent, vu que ce sont des entreprises étrangères qui raflent le marché, sans appels d’offres, tandis que ce sont des cadres et ouvriers étrangers qui sont employés sur les chantiers.

Le budget comporte donc de sérieux risques d’engendrer des scandales d’attribution de contrats en série à toute la horde de chatwas qui abonde dans les parages du Gouvernement.

Semblant répondre à ces protestations de nos entrepreneurs, le budget a aussi annoncé que les contrats de moins de Rs25 millions seront réservés à des compagnies locales. Mais là encore, danger car le Public Procurement Act (PPA) ne prévoit pas que des tenders soient préparés pour l’attribution de tels contrats.

Pour les ministères, le minimum est de Rs 50 millions, pour les corps paraétatiques il est de Rs 15 millions. Parfois aussi comme dans le cas d’Airports of Mauritius ou de la CWA, la cédule du PPA parle de Rs100 millions. Et donc pas de contrôle du Central Procurement Board, ni d’appels par-devant le Independant Review Panel, procédures prévues sous le PPA !

Le budget comporte donc de sérieux risques d’engendrer des scandales d’attribution de contrats en série à toute la horde de chatwas qui abonde dans les parages du Gouvernement. Cela vaut pour le présent régime comme pour tout autre prochain gouvernement. Sans une modification en profondeur de la PPA comme sans introduction d’une Freedom of Information Act, pas d’espoir véritable donc pour que cela ne change véritablement.

Le discours budgétaire a donc raté une belle occasion de réforme du système. Sans celle-ci, il est à craindre que la corruption, qui déjà étouffe et englue notre société, ne perdure. Les scandales se multiplieront. C’est littéralement un pari sur sa bonne foi que table le régime pour rétablir la confiance, ce que tous les économistes qualifieront de capital pour vraiment relancer l’économie.

Toutes les mesures prises sous le budget sont certes assorties d’effets positifs mais c’est authentiquement la confiance qui vient ensuite huiler le mécanisme économique et libérer les énergies, qui permettront au navire République de Maurice d’avoir le vent en poupe. Le souci c’est que le Gouvernement pense s’en sortir avec du ‘business as usual’.

Par ailleurs, le Gouvernement persiste et signe dans sa volonté de snober les recommandations du FMI. Ses consultants, par le truchement de consultations sous le Chapitre IV de l’organisation, ont recommandé le démantèlement du MIC et la recapitalisation de la BOM. Pour doter la Banque Centrale des moyens nécessaires à soutenir la monnaie nationale face aux principales devises étrangères et combattre l’inflation.

Le souci, encore une fois, c’est que le Gouvernement ne veut en faire qu’à sa tête et ignore donc ces sages recommandations. Or, il est clair que nous faisons moins bien que nos concurrents et voisins, tels Zanzibar, les Maldives ou les Seychelles pour le tourisme, le Rwanda ou Singapour pour les finances et l’offshore. Nous avons perdu le leadership africain et avons été rétrogradés.

C’est encore une fois l’opacité de notre mode de gouvernement qui est cause de cette situation et il n’est jamais trop tard pour prendre la bonne direction. Mais ce Gouvernement-là en a-t-il seulement envie ?

Richard Rault


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