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Branle-bas chez une importante société indienne où l’on se presse à acheter certaines licences nécessaires au service d’un client grand-compte qui va externaliser la totalité de son service informatique. En effet, tout doit être fait dans les règles pour mettre au point le nouveau dispositif informatique de… la State Bank of Mauritius !
L’enjeu est colossal. Au plan financier, certainement. Mais, de toute évidence, tout a été fait pour éviter des remous au plan politique, diplomatique et surtout médiatique. Il est vrai que la culture du secret est propre au milieu bancaire, mais que la deuxième banque du pays et la deuxième plus grosse société cotée en bourse puisse mener une opération d’une telle envergure aussi furtivement relève presque de l’exploit. Mais la controverse au final est inévitable tant les conséquences sont désastreuses autant pour l’économie du pays que pour ses ambitions au plan de la technologie informatique.
Les projets informatiques de la SBM sont bloqués depuis janvier 2011. Il s’agit pour la banque de passer à un nouveau palier pour améliorer ses services. La SBM privilégie une étude systémique du problème et estime que c’est l’ensemble de l’environnement informatique qui doit être considéré. Tout est examiné : l’infrastructure, le hardware, le middleware – toute la partie relative aux communications – ainsi que les applications business qui elles permettent de gérer entre autres la partie Retailer Banking, avec l’inclusion notamment de la partie CRM (Customer Relationship Management), qui était déjà prévu pour 2011. L’âge du système, toutefois, ne favorisant pas le saut qualitatif souhaité, la banque se retrouve avec un choix : soit le changer complètement ou externaliser (outsource) l’ensemble du service. Jusque-là, ça fait sens. Et c’est l’option de l’externalisation qui sera privilégiée. Pourquoi pas ?
Les flops connus
Deuxième étape, les consultants de Tata Consulting Services (TCS) entrent en jeu. Les quelques rares qui ont ce niveau d’expertise ont le sentiment d’assister à un remake. Et dans le domaine de l’informatique, l’une des bonnes pratiques est d’apprendre des erreurs passées, en particulier de celles des concurrents. Or, deux ans plus tôt, c’est la Mauritius Commercial Bank (MCB) qui faisait son entrée dans cette arène-là. Avec quelques flops retentissants.
Avec 125 membres, la MCB a une équipe informatique bien plus conséquente que celle de la SBM qui en compte une trentaine. Mais chez l’un comme chez l’autre, les compétences mauriciennes ont toujours répondu présent aux rendez-vous. La MCB, qui précède la SBM au palmarès des banques, s’était jusque-là reposée sur les talents locaux pour développer toutes ses applications. Toutefois, au moment de procéder à son saut technologique, elle fait appel à un étranger pour diriger le département informatique. C’est lui qui procède donc à l’exercice menant au choix du système TEMENOS pour les Core Banking Applications. Des Sud-Africains sont choisis pour procéder à l’implémentation du système. C’est le flop. Les Sud-Africains sont éjectés et l’addition est salée. C’est que ça coute cher les puces : on peut compter environ Rs. 300 millions en « men/hours », somme à laquelle on devrait aussi ajouter le coût de la gestion du changement (change management) qui nécessite aussi quelques centaines de millions.
D’autres mutations d’envergure ont été menées au sein d’autres grosses corporations mauriciennes. Au début des années 2000, Rogers revoyait son système d’Enterprise Resource Planning (ERP) et avait opté pour le progiciel JDEdwrads, technologie rachetée une première fois par PeopleSoft et ensuite par Oracle en 2004. Le progiciel de gestion comptable permet de modéliser les fournisseurs, leurs conditions de règlement et de gérer les décaissements tandis que les éléments de gestion traités en auxiliaire sont automatiquement interprétés pour générer une imputation dans le General Ledger.
Rogers avait aussi fait appel à des Sud-Africains pour gérer cette implémentation qui fut aussi… un flop. Vers 2006, le groupe mauricien délaissait Oracle et optait finalement pour la solution Microsoft Dynamics et son équipe informatique locale se transformait pour devenir Enterprise Information Solutions (EIS). L’expérience coûteuse (plus de Rs. 60 millions) avait au moins servi à réaliser qu’il valait mieux se fier aux compétences locales plus aptes à élaborer des solutions adaptées aux contours du business qu’ils parvenaient à mieux cerner.
Délocalisation
Au prix de ces leçons bien particulières, c’est toute la classe qui devrait retenir les enseignements. Et c’est bien pour cela que la démarche de la SBM surprend. Elle aussi engage un Indien pour piloter son département informatique et mener à bien le processus d’externalisation. Pourquoi pas ?
Le choix technologique de la SBM se porte sur WIPRO. Etablie initialement comme une productrice d’huile végétale, d’où son logo figurant un tournesol, cette firme dont le siège se trouve à Bangalore et a son campus à Hyderabad, s’oriente dans les années 80 vers le secteur informatique. Au bout de deux décennies WIPRO Technologies est l’une des plus grosses exportatrices indiennes de services technologiques. Elle est considérée comme une des spécialistes mondiales de l’intégration et de sécurisation de réseaux et le gros de son business IT provient des contrats d’externalisation des Etats Unis et un peu moins d’Europe. Avec un portefeuille d’une centaine de clients grand-compte issu du marché des capitaux, des banques, des assurances, de l’hôtellerie et du voyage, le géant technologique indien jouit d’une excellente réputation.
C’est finalement la société HP qui est choisi pour assurer la gestion opérationnelle de toutes les nouvelles fonctions informatiques de la SBM. HP s’est récemment implanté à Maurice et on aurait pu penser que ça augurait bien pour l’avenir. Toutefois, là où ça se corse c’est que l’option d’externalisation de la SBM ne signifiait pas la prise en charge de ce redéploiement par une entité locale tierce. Il en existe bien qui sont aptes à fournir le service et qui ont des partenariats avec WIPRO. Mais voilà ; c’est la branche indienne de HP qui a été choisi et l’externalisation dans ce cas donne lieu à ce qui est véritablement une délocalisation.
Conséquences institutionnelles
Une des premières conséquences de la manœuvre de la SBM est, bien entendu, la mise à pied de son personnel informatique. On aurait pu penser que cela aurait débouché sur une action syndicale, éveillant ainsi l’intérêt médiatique. Mais la SBM a trouvé la parade pour atténuer cet impact. En effet, les quelques 70 personnes constituant l’équipe informatique seront tout simplement redéployées dans divers départements et ils auraient obtenu un sursis de trois ans pour trouver un nouvel emploi.
Une autre conséquence relève d’une incohérence qui pourrait faire tiquer la Banque Centrale. En effet, cette manœuvre survient au moment même où le Gouverneur évoque la nécessité d’augmenter le plafond des réserves et, au coût d’une telle transaction, la Banque Centrale pourrait, et devrait sans doute, s’intéresser à cet exode monétaire qui va, en outre, accentuer une balance commerciale penchant exclusivement dans le sens de l’Inde.
La pire des conséquences, toutefois, relève du message envoyé par les institutions par rapport aux ambitions locales en matière de développement d’une cyberéconomie. Statutairement la SBM a beau être une compagnie privée, il n’en demeure pas moins vrai qu’elle regroupe d’autres institutions de l’Etat qui participent à sa capitalisation. On y trouve, en effet, la National Pensions Fund, la State Insurance Company of Mauritius, le gouvernement lui-même ainsi que la Banque de Développement. Ce consortium gouvernemental détient ainsi, avec le SBM Treasury Shares, 80,86% du capital. Du coup, c’est l’ensemble de ces corps constitués qui remet en cause les compétences disponibles dans le pays et cautionne la délocalisation du service informatique de la SBM. Une communication claire signifiant que le discours à l’effet que le pays serait une cyber-île est surfait et c’est ce qui justifierait que la SBM s’en aille voir ailleurs.
Reste encore la responsabilité sociétale de l’entreprise. La SBM aura désormais du mal à convaincre que le soutien à certains pôles de croissance essentiels pour le pays fait effectivement partie de sa vocation.