COVID-19 : Réflexes partisans pour un problème national

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Non, les Mauriciens ne mourront pas du COVID-19… Kapav krwar ; kot kapav ! Mais vous faites quoi des cultes multiples qu’ils rendent à toutes ces divinités aux pouvoirs les uns plus extraordinaires que les autres ? Mais, ça c’était jusqu’à la fin de février, tant que la population mauricienne – oui, celle dépourvue de tout racisme parce qu’elle est multi-tout-ce-que-tu-veux – considérait qu’il s’agissait essentiellement d’un problème de Chinois bouffeurs de reptiles et autres marsupiaux.

Mais que voulez-vous qu’ils fassent les Mauriciens quand leurs responsables leur disent que « tout est sous contrôle » et que les autorités, toujours très « concernées », sont à appliquer « le protocole » ? On ne va quand même pas blâmer la population quand chez Air Mauritius il y a un Appavou résolu et déterminé à exposer ses équipages ! Comment ne pas reconnaître ces ministres qui ont du cœur, quand Bodha et Jagatpal décident de rapatrier les Mauriciens se trouvant en Chine, parce que les Français sont disposés à les faire transiter chez eux !

Mais, est-ce que cela relève du hasard que le coronavirus se trouve aujourd’hui chez ceux qui, en dépit de tout bon sens, ont rapatrié leur ressortissants de Wuhan ?

Ainsi, des plus avertis aux parfaits abrutis, on finira peu à peu par réaliser que, d’un côté, au plan individuel, les décès se comptent surtout parmi ceux déjà affectés par certaines déficiences et, d’un autre côté, notamment au plan des collectivités et des États, il se propage plus aisément là où les dirigeants auront manqué de clairvoyance et les administrations de prévoyance.

Et, aujourd’hui, répondant aux questions d’un journaliste lors de sa conférence de presse, Pravind Jugnauth, plutôt que d’encourager les étudiants Mauriciens à rester dans ce que lui même présente comme de grands pays avec davantage de moyens, considère ne pas pouvoir, en vertu de leurs droits de citoyens, les empêcher de rentrer dans leur pays. Il doit laisser perplexes ceux qui lui ont procuré le vote majoritaire pour promulguer la loi Hofman annulant par mesure d’exception les droits de la citoyenne Mauricienne Isabelle L’Olive. Et il doit surtout faire sourciller ceux qui étaient persuadés qu’il existait en droit la notion de « force majeure » !

Le Premier ministre croit vraiment qu’il lui suffit d’avoir un médecin à la Santé et un plan opérationnel validé par l’OMS pour que les mesures de son gouvernement soient effectives et efficaces. Comment Jagatpal est parvenu à endormir les journalistes de la presse mainstream pendant plus d’un mois nous sidère. Mais les aptitudes d’anesthésiste du médecin-crétiniste sont loin de nous ravir. Au contraire, nous ne sommes que plus incapables de gober le bien-fondé de cette stratégie fondée sur la seule multiplication des centres de quarantaine. Ça ne peut pas marcher !

C’est bien parce que cela ne peut pas marcher que le ministre Jagatpal se fait contredire par l’épidémiologiste Deoraj Caussy. La science du Dr. Caussy fait sens, et plus particulièrement à ceux qui ont le sens de l’histoire et de la géographie.

C’est vrai que dès le début Indocile critiquait ces mesures ahurissantes ; mais, nous devons bien nous rendre compte que notre population a pratiquement perdu l’habitude de ce type de journalisme osant mettre en doute la position institutionnelle. Et puis, pourquoi accorder de l’importance à ces critiques quand, tout habilité qu’il soit, le Leader de l’Opposition lui-même ne s’opposait pas plus fermement à ces mesures ? C’est son prédécesseur, Xavier-Luc Duval qui, la voyant ouverte, s’est engouffré dans la brèche de la fermeture des frontières…

Pour n’importe quelle épidémie, le problème ne va pas se poser au niveau des centres de quarantaine mais bien au niveau de cette vaste zone géographique, cette « conurbation » rendue encore plus difficile à gérer par l’absence de vision politique.

Au point où nous en sommes, peu nous importe de démontrer que nous avions raison d’évoquer, dès le 4 février, la nécessité de l’isolement et des confinements auxquels il faudra se résoudre dès les premiers cas avérés. Ce qui est essentiel aujourd’hui c’est de pouvoir transmettre, en l’état de ce qui nous est connu, les informations au sujet de la vulnérabilité de nos concitoyens afin que ceux-ci puissent comprendre et ainsi participer volontairement et plus efficacement aux efforts de confinement.

De quoi parlons-nous ? Commençons par ouvrir une carte de Maurice et là, même le Mauricien le plus stupide peut se rendre compte que nous avons une forme de continuum urbain de Terre-Rouge jusqu’à Forest-Side en passant par Port Louis, les villes-sœurs, Quatre-Bornes, Vacoas-Phoenix et Curepipe. On réalise aussitôt que les délimitations servant à identifier les localités ne sont que virtuelles et ne constituent aucunement des frontières séparant effectivement un lieu d’un autre. Car, pour n’importe quelle épidémie, le problème ne va pas se poser au niveau des centres de quarantaine mais bien au niveau de cette vaste zone géographique, cette « conurbation » (voir notre article sur le sujet) rendue encore plus difficile à gérer par l’absence de vision politique. Et peut-être devrions-nous dire, pour être plus précis, par une cécité politique occasionnée par l’entretien des seules visées partisanes !

Ainsi, à bien voir, la principale vulnérabilité affectant l’ensemble de la population mauricienne réside dans les tares issues des deux principales lignées d’hérédité politique. En effet, à force de chercher à savoir si Navin et Pravind se valent dans le champ de la partisanerie, nous n’avons pas su considérer à quel point les Ramgoolam et les Jugnauth s’annulent dans la conduite des affaires de l’Etat. Mais, il ne pouvait s’agir d’un jeu à somme nulle puisque, par contamination politique, l’élite qui préside désormais à notre commune destinée est constituée de cette multitude recrutée depuis 1983 dans des segments ethnocastéistes conformes aux calculs électoralistes.

Nous sommes ainsi autant tributaires des fonctionnaires qui ont développé des compétences, (ou à défaut, qui appliqueraient le bon sens avec une part de bonne volonté), qu’à la merci de dangereuses nullités politiques dont les décisions, autant que les impérities, pourraient occasionner la perte de vies humaines.

Non, nous ne mourrons pas directement du COVID-19, mais plus sûrement de ce virus qui a la forme de cette partisanerie devenue indécrottable chez notre personnel politique. Bien plus qu’une question partisane, le COVID-19 est bien un problème de santé publique qui, en raison de son impact sur différents aspects de la vie sociale et divers secteurs de l’activité économique, constitue un enjeu national incontestable. On peut alors trouver surprenant que le Premier ministre ne soit pas parvenu en bientôt deux mois à engager le secteur privé dans une initiative nationale pour faire face aux défis que tout un peuple doit relever. Le ministre des Finances a pourtant bien prévu un fonds de soutien d’environ Rs. 9 milliards au secteur privé, dont la majeure partie ira aux grosses corporations et celles-ci n’auraient qu’une sourde ingratitude en forme de réciprocité? Faut-il se résigner au fait que l’on ne trouve personne parmi les professionnels à proposer au Premier ministre de prendre, pour une fois, une vraie charge: celle de coordonner, pour l’intérêt de tous, les actions stratégiques formulées par les meilleures compétences des secteurs privé et public ? Pourtant, ce pauvre Pravind trouve bien à caser du monde dans les corps para-étatiques et dans les banques engrangeant les ressources de l’Etat…

Ce sont de telles situations qui provoquent une vraie crise de crédibilité quand le Premier ministre évoque la notion de patriotisme. Ce terme se résume à faire confiance à l’exclusivité de son camp au gouvernement et celui de l’exécutif. Il estime qu’au nom de ce patriotisme, les Mauriciens devraient lui accorder une confiance aveugle, alors que le seul élément susceptible de contribuer à plus de rationalité et de réduire la panique est de faire état des mesures envisagées dans l’éventualité des cas avérés. Ce que le gouvernement n’est toujours pas parvenu à réaliser.

Jagatpal et Boolell doivent être contraints à sortir des enjeux partisans et assumer leurs rôles de législateurs ayant des compétences de médecin. C’est partant de ce point de vue qu’ils peuvent comprendre (et de là, leurs collègues moins instruits des considérations épidémiologiques), que l’identification des porteurs du virus au port et à l’aéroport ne constitue qu’une infime partie du problème. L’enjeu réel consiste à éviter la propagation du virus, sachant que statistiquement une personne sur deux a été contaminée par un porteur du virus qui ne présentait aucun symptôme!

Compte tenu de cette question géographique, rendue plus complexe par une densité démographique qui n’a jamais été considérée comme un handicap au plan sociétal, la solution pour éviter la propagation consiste à renforcer, par la promulgation rapide des règlements appropriés, l’autonomie des collectivités afin qu’en cas de nécessité des localités puissent être efficacement isolées. Sans la contribution des conseillers municipaux et des conseillers de villages, le gouvernement qui a pris le mauvais pas du fonctionnement centralisé va recourir, par réflexe, aux forces de l’ordre pour appliquer des mesures restrictives auxquelles la population aurait dû participer volontairement.

En février 1999, durant les émeutes qui eurent lieu dans le sillage de la mort de Kaya, Navin Ramgoolam, le Premier ministre d’alors, chef de l’exécutif et détenteur de l’autorité publique se cantonnait dans son silence. Oubliant les considérations liées à sa sécurité, le président de la République, Cassam Uteem s’en alla par les rues dévastées rencontrer des familles affligées qui par la peur qui par la colère. C’est quand il parvint à ramener la paix dans les cœurs des Mauriciens que l’ordre fut à nouveau instauré dans le pays.

Il y a ainsi des épreuves qui définissent les hommes politiques. La manière dont ils les affrontent font que la mémoire collective retienne ce moment où ils accèdent à la place des grands hommes. Mais, à l’opposé, d’autres ne parviennent pas à reconnaître quand il importe de s’élever pour prendre la mesure du moment. Ceux-là cèdent plus aisément à la jouissance dès lors que l’on vante un tant soit peu leurs attributs… « Dear Prime minister ! », a dit Navin à Pravind, qui a été incapable de se retenir.

Minable ? Ou lamentable ? L’heure est trop grave pour chipoter. Il vaut mieux laisser le champ libre à ceux qui ont les aptitudes pédagogiques… pour apprendre à des collégiens attardés à mieux brider leurs pulsions !

Joël TOUSSAINT


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