Budget social ? Le retour à l’esclavage !

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Il y a de bonnes raisons de se méfier de ceux qui affirment que ce budget de Pravind Jugnauth serait sans vision. Ceux-là peuvent être classés en deux catégories, notamment : (1) ces nouvelles têtes qui prétendent faire de la politique autrement et qui, à défaut de fondamentaux plus éprouvés, nous proposent une gadgetière tirée d’internet et quelques panacées économiques et, (2) les cyniques en politiques qui, au sein de leurs entreprises électorales, attendent de se morpher en de nouvelles alliances pour se retrouver d’un côté ou de l’autre de l’assemblée nationale.
 
Pour apporter le contrepoint aux deux catégories précitées, il en existe une troisième : celle des ouistitis des firmes comptables qui vous affirment bon an mal an que le gouvernement fait un « budget social ». C’est de cette catégorie que l’on sort ceux qui font société entre le banquet du Rotary et les agapes de la loge maçonnique. Pour ceux-là, quand bien même que l’on n’aurait aucune notion de sociologie, il n’y a pas de problème à faire le singe : il y a tant de journaux qui ouvrent leurs colonnes et des radios qui font des plateaux que du coup, ça apporte de la légitimité au jeu de rôle à ce concours peu drôle où ils jouent aux fayots à qui-mieux-mieux.
 
Car, il faut être un bigleux dramatiquement embourgeoisé pour confondre un budget à visée électorale et un budget à vision sociale. Une vision sociale s’inscrit dans le temps. Et il n’est aucunement besoin de faire de grandes écoles pour réaliser que ce gouvernement n’en a plus !
 
Il faut être atteint de cécité aux inégalités sociales pour parler de budget social quand on sait que ce gouvernement avait promis 6 000 unités de logement l’année dernière. Le retard accumulé sur trois décennies par l’ensemble des partis conservateurs avait déjà produit un déficit de 80 000 unités de logements !

Car, il faut être un bigleux dramatiquement embourgeoisé pour confondre un budget à visée électorale et un budget à vision sociale. 

Concrètement qu’est-ce que cela signifie ? Cela veut dire que quelles que soient les combinaisons d’alliances entre ces formations qui ont cartellisé l’Assemblée nationale, il y a une constance à condamner ceux qui sont au bas de l’échelle à densifier nos villages et nos faubourgs. Cette concentration produit cette promiscuité dont on sait qu’elle est propice à des bagarres au sein même des familles, d’où les incidents après-boire. C’est aussi cette même promiscuité qui favorise des abus sur les enfants et les vieilles personnes. Et c’est ce qui va fournir de la matière aux policiers comme aux journalistes qui alimentent un public friand d’histoires salaces : des actes de pédophilie au viol de la belle-mère, en passant par le parricide et la femme qui se prostitue parce que le compagnon ou le mari souffre de dépendance aux substances prohibées, quand ce n’est pas elle-même.

Et ce n’est pas tout : cette densification à Maurice se produit sur des lignes ethno-religieuses. Une autre manière de le dire, c’est que nous avons beaucoup de quartiers fortement ethnicisés. Ce qui, bien entendu, comporte des risques d’affrontement. Certains l’auront réalisé avec le récent défilé de provocation de Javed Meetoo et de ses suiveurs dans l’enclave hindoue de Chitrakoot, alors que la sortie de la vallée est à prédominance musulmane. Mais, les caméras de surveillance ont été placés sur quelques grands axes… Ils ne sont certainement pas destinés à sécuriser les quartiers populaires plus sensibles.

Et pourtant, la question de l’ethnicisation des quartiers aurait dû interpeller autant les élus des collectivités locales que les députés de l’Assemblée nationale. Les plus jeunes votants aux prochaines élections connaissent peut-être le climat d’insécurité qui a prévalu durant les émeutes de février 1999 et les plus âgés vous parleront des bagarres raciales de 1968. Mais l’histoire de notre pays nous montre d’autres bagarres de ce type. Les éphémérides d’Antoine Chelin nous rappellent ainsi qu’en janvier 1877, il y eut « des conflits entre Mahométans et des Hindous ». En janvier 1889, il y eut une « bagarre communale entre hindous et musulmans à la rue Royale », faisant huit morts et 20 blessés.

A tout ce monde qui évoque les projets de « Safe City », personne ne pose la question des « Safe Suburbs ». 

Or, tout cela fait partie de nos réalités sociales tout comme les cyclones font partie de nos réalités climatiques. Et, gouverner c’est prévoir, semble-t-il. Mais, a-t-on jamais entendu un élu aborder ces questions de manière rationnelle et présenter la moindre motion pour qu’il y ait des experts qui se penchent sur ces questions pour donner des orientations au gouvernement? Car, il importe que le gouvernement puisse avoir une politique de logements sociaux cohérente, et surtout différente de la vision séparatiste et discriminatoire du président du parti majoritaire!

A tout ce monde qui évoque les projets de « Safe City », personne ne pose la question des « Safe Suburbs ». Or, le social, c’est essentiellement cela : les +60% qui sont en-deçà des Rs. 20 000 de revenus mensuels. A-t-on jamais demandé à ces forts en thème des sociétés comptables quelles sont les mesures budgétaires qui permettent de sortir de cette densification de la population dans pratiquement tous les faubourgs et de nombreux villages ?

A chaque budget, les médias donnent dans la vedettisation des représentants de ces cabinets d’experts comptables et autres intégristes de l’équilibre budgétaire. Il serait peut-être plus judicieux pour ces gens-là de s’abstenir de qualifier un budget national de « social » ; surtout quand, dans leur propre champ de compétences, la démarcation entre l’optimisation et l’évasion fiscale est tellement fine que l’on peut sans surprise trouver un cabinet d’audit derrière des cas de fisco-délinquance. Qui n’aurait pas compris et respecté un professionnel qui avoue ne pas avoir compétence à pontifier sur le social ?

Au-delà de ce charlatanisme manifeste, tenons-nous en à l’essentiel : est-il possible que ce budget soit sans vision ? L’Anglais trouverait là un « understatement ». Pas que le substitut au poste de Premier ministre soit soudain devenu modeste ; c’est qu’en réalité ce serait peu dire. Car, les stratégies d’alliances pourraient ne pas être concluantes avant, mais plutôt après les élections – le MSM étant bien parti pour finaliser ses arrangements avec un partenaire disposant d’un nombre de sièges suffisants pour constituer « un gouvernement stable » dans la pure logique de Seewoosagur Ramgoolam.

Il y a là une orientation politique indéniable de la mise à disposition d’un immense réservoir de bras à des prix tellement bas qu’ils font frémir. ​

Mais il n’est pas possible d’avoir un budget sans vision à la fin du mandat d’un gouvernement. C’est, au contraire, le budget qui résume et confirme l’action gouvernementale durant les cinq dernières années. C’est dans ce sens qu’il faut lire ce budget pour identifier les éléments structurels constants. Cela nous donne des projets d’infrastructure, comme celui du métro express qui se réalise dans le déni total de ce qui avait été présenté à la population.

L’action gouvernementale nous procure un endettement dont le remboursement mensuel est évalué à plus de Rs. 300 000 par tête d’habitant, alors que la population active se réduit comme une peau de chagrin compte tenu du vieillissement de la population ! Mais c’est un bon prétexte pour accorder à certains employeurs le privilège de la main d’œuvre étrangère payée à moindre prix. Cette concurrence autorise le maintien des salaires pour ceux au plus bas de l’échelle au plus près du minimum légalement convenu et on se retrouve ainsi avec 50% des 543 700 employés de notre force active dont le salaire ne dépasse pas Rs. 16 000. L’histoire n’est pas nouvelle: les Britanniques avaient déjà établi dans un rapport que le travailleur engagé coûtait moins cher que l’entretien d’un esclave; d’où l’intérêt de s’en débarrasser. Même Robert Farquhar, le gouverneur de l’époque, qui faisait de la traite négrière en cachette, mit fin à son commerce! 

Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que nous sommes dans une démarche de maintien structurel de la paupérisation. Il y a là une orientation politique indéniable de la mise à disposition d’un immense réservoir de bras à des prix tellement bas qu’ils font frémir. C’est-à-dire que si nous demandons à un actuaire d’évaluer comparativement le coût du traitement d’un esclave au temps du recours à la main d’œuvre servile et le coût de cette main d’œuvre contemporaine au bas de l’échelle, on en serait peut-être au même point. Ou même plus bas !

Peut-on prétendre qu’il n’y pas de vision quand ce gouvernement en particulier mette un point d’orgue à cette politique menée d’un gouvernement à l’autre et qui nous vaut la constitution d’un tel cheptel ? Même la proportion de la population serait plus ou moins comparable ; il suffit de considérer ceux qui obtiennent entre Rs. 20 000 et 50 000 comme des affranchis qui ne disposent pas de tous les droits puisqu’ils sont tenus en laisse par les sociétés de crédit, les assurances et les redevances multiples.

Alors voilà, mission accomplie; tout est favorable à une oligarchie qui peut se réjouir et émettre d’autres chèques pour le prochain exercice électoral. Il y aura les cabinets comptables pour aligner cela au bon endroit dans les livres, et des journaux prétendument indépendants pour reprendre le discours de quelques chefs d’entreprise qui, sans honte aucune, prétendront contribuer à la démocratie !  

Il y a une vision à ce budget, comme à tous les budgets qui ont été présentés auparavant. C’est juste qu’on peine à le voir… Il y a de quoi ! 

Joël TOUSSAINT


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