​Prison: Non, la cigarette n’y est pas interdite!

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La cigarette n’est pas interdite à la prison. Quoi qu’en dise le commissaire des prisons. Quel que soit le cinéma auquel se livrent le Leader de l’Opposition et le Chief Whip. Que l’on invoque ou non les recommandations du rapport Lam Shang Leen. Quels que soient les arguments des pros et des antis pour les mesures de privation dans la presse généraliste et sur les réseaux sociaux. En effet, la législation ne l’interdit pas. Dans cette perspective, que le commissaire des prisons affirme qu’il a interdit la cigarette à la prison, l’expose à éventuellement finir derrière les barreaux ! Explications.

Le commissaire des prisons, P. (Vinod) Appadoo – PDSM

Vinod Appadoo, le commissaire des prisons, détient les prérogatives pour autoriser que certaines classes de détenus puissent ou non acheter des cigarettes à la prison. Le commissaire des prisons n’est toutefois pas investi de pouvoirs pour interdire la cigarette en milieu carcéral. Quelle est la différence ?
 
Les prérogatives du commissaire de police sont établies par la législation, en l’occurrence : « The Reforms Institutions Act » de 1988 et les « Regulations » qui en émanent. Les pouvoirs dont il estime être investis pour interdire la cigarette en milieu carcéral, à défaut d’être explicitement prescrits dans une législation quelconque, n’existent donc que dans ses fantasmes !
 
Il faut d’abord comprendre que la Reforms Institutions Act de 1988 est la loi qui fonde le cadre par lequel les établissements pénitenciers et autres centres de détention sont régis. C’est de cette loi qu’émane, entre autres, les pouvoirs dont le commissaire est investi et, avec lui, par pouvoirs délégués sous les Standing Orders, l’ensemble du personnel des centres pénitenciers. C’est donc à partir de cette loi que les Regulations sont formulées. Pour une meilleure compréhension de ces Regulations, nous pouvons les présenter comme les Règlements Généraux et ensuite, il y a des Standing Orders par lesquels se mettent en place des Règlements Intérieurs qui relèvent eux de la discipline au quotidien et qui varie d’un établissement pénitencier à l’autre.

Un système de privilèges

Compte tenu du fait que, pour les détenus, la privation de liberté entraine la perte d’un certain nombre de leurs droits civiques, on comprendra que le monde carcéral opère selon un système de privilèges. La loi-cadre n’en fait d’ailleurs pas mystère et l’on retrouve ainsi d’emblée à la section 5 : « Privileges. The Commissioner shall establish at every prison such systems of privileges as may be appropriate to the classes of detainees held in that prison ». Utile à la compréhension, la notion de « classes » ici, survient à la section 4 et a trait à la classification des détenus selon leur âge, la nature des délits, les antécédents, etc. Ce système de classification fait partie des moyens de maintien de l’ordre et des questions sécuritaires ; il participe aussi à la mission réformatrice du système pénitencier.  
 
Ni la loi-cadre, ni les Regulations ne sont muettes sur la question de la cigarette. Cela concerne déjà ceux qui sont admis à la prison alors qu’ils sont toujours en attente d’un jugement. Ceux-là sont qualifiés par la loi, qui les désigne comme des « unconvicted detainees ». N’étant donc pas sous le coup d’une condamnation, ils ne peuvent être totalement privés de leurs droits. La Reforms Institutions Act prévoit donc pour ceux-là, à la section 26(1)(b) que : « The Commissioner may authorise an unconvicted detainee to (…) receive cigarettes and toilet articles from his private resources ». Les Regulations rappellent là également que nous sommes au coeur d’un système de privilèges. Aussi, cet élément est formulé d’une façon bien particulière, notamment à la section 12(2) : « No detainee shall be allowed to smoke or to have any tobacco except as a privilege under regulation 5 ».
 
On réalise bien que dans le système carcéral, tout est sujet à ce système de privilèges, même le travail rémunéré. Et c’est ainsi que l’on apprend que la rémunération issue du travail peut ouvrir la voie à l’achat de cigarettes. En effet, à la section 16(5)(a) les Regulations prévoient que: « Subject to regulation 12 (2), a detainee may spend up to such sum as may be approved out of his weekly earnings for the purchase of tobacco and such other goods as may be allowed by the Commissioner ». 
 
Soyons attentif à la formulation : elle précise que le commissaire est habilité à approuver le montant maximal que le détenu pourrait destiner à l’achat de cigarettes. A l’opposé, on notera bien que ni la loi-cadre, ni les Regulations ne lui accordent le pouvoir d’approuver l’usage même du tabac.
 
Cette approche particulière, les plus anciens administrateurs de la prison le savent, est destiné à servir un objectif particulier : l’éducation à l’épargne. La loi prescrit, en effet, non seulement que le détenu sera rémunéré pour certains types de travaux effectués, mais s’assure que ces prescriptions servent les vertus pédagogiques qui relèvent de la mission réhabilitatrice de la prison. Ainsi, le détenu est censé apprendre qu’il ne peut consacrer l’ensemble de ses revenus à ses besoins et ses plaisirs. Les revenus de son travail sont destinés à alimenter une petite cagnotte dont il disposera à sa sortie de prison. C’est aussi précisé dans la législation.
 
Si le commissaire est habilité à autoriser le montant qu’un détenu peut dépenser pour l’achat du tabac, on notera aussi que la législation n’inclut pas l’alcool dans le cadre des privilèges. Et cela est spécifiquement mentionné toujours à la section 12(I) des Regulations qui traite de « Alcohol, drugs and tobacco » « No detainee shall be allowed to have any intoxicating liquor or drug except under a written order of the medical officer, specifying the quantity and the name of the detainee ».
 
Une fois ces précisions apportées, on s’aperçoit aisément que la législation est en mesure de clairement énoncer ce qui relève de l’approbation ou de l’autorisation et, qu’elle se donne les mêmes moyens pour la proscription, la prohibition et l’interdiction. Aussi, pour que le tabac soit effectivement interdit, il faudrait, au préalable, que cette interdiction soit explicitement mentionnée dans la législation. Et ce n’est pas le cas !

Le Chief Whip, M. Bobby Hureeram
Le Leader de l’Opposition, M. Xavier-Luc Duval

L’exploitation politique qui a été faite de la mesure d’interdiction de la cigarette à la prison est loin de correspondre aux enjeux véritables que pose l’approche de Vinod Appadoo. Lors de sa conférence de presse du 2 février dernier, Xavier-Luc Duval trouvait que les droits des détenus étaient lésés.  Comme nous l’avons démontré, le régime légal qui régit le milieu carcéral ne relève pas d’un système de droits mais d’un fait de privilèges. Mais n’en faisons pas un problème de langage où l’on va pinailler sur des questions de sémantique. Son argumentaire tournait autour de considérations humanistes et anxiogènes : «Dan prizon, imin ki resté, bizin tret zot kouma imin. Zafer pé bwi laba», faisait-il valoir. Rappelant que fumer est légal à Maurice, il rentrait ensuite dans une personnalisation provocante du débat : «Bizin ferm komiser prizon enn dé zour pou li konpran». 
 
La formule allait, bien entendu, susciter la réaction du MSM qui, par le biais du véhément Hureeram, faisait valoir que le nominé du gouvernement à la prison ne faisait que concrétiser une recommandation du rapport Lam Shang Leen. Accusant le Leader de l’Opposition de démagogie, le Chief Whip enfourchait la même bête pour proclamer que la prison n’était pas « lakaz mama ». Les deux hauts responsables politiques avaient donné du grain à moudre aux journalistes qui, à leur tour, allaient alimenter les réactions sur les réseaux sociaux. Et bien entendu, le relais sans perspective des propos stupides des politiciens n’aura certainement pas suscité des réactions plus éclairées.

Pas de privation !

Mais cette affaire n’est certainement pas risible. Elle est, en réalité, d’une extrême gravité. Certes, les détenus se retrouvent sous un régime de privilèges, mais quand bien même que l’on ne voudrait pas pinailler sur le vocabulaire les prescriptions légales sont des plus claires. La Reforms Institutions Act précise, en effet, dans le langage le plus évident et accessible que : « Except as is provided for in this Act, no detainee shall be subjected to punishment or privation of any kind ». Ainsi, au chapitre des châtiments, il est entendu que les détenus ne doivent subir de punitions ou de privations d’aucune sorte !

Aussi, les atermoiements du Leader de l’Opposition sur le fait que les détenus seraient des humains qu’il faudrait traiter comme tels relèvent davantage de la billevesée que de l’euphémisme. Et les sous-entendus du Chief Whip pour faire l’apologie de la mesure pourraient engager les responsabilités pénales de celui-ci. Châtiments ? Contraintes ? Torture ? Ne préjugeons pas de ce que les avocats des détenus pourraient envisager au sujet de ces privations imposées par le commissaire.

Pour qu’une mesure d’interdiction soit effective, il faut enclencher un processus législatif par lequel les parlementaires approuvent éventuellement l’abrogation totale ou partielle (annulation de certaines clauses) de la Reforms Institutions Act de 1988 et votent ensuite en faveur d’une version amendée pour que celle-ci soit alors promulguée. Un tel processus législatif suppose, de toute évidence, que les parlementaires aient l’occasion de débattre d’une motion qui est présentée en vue d’obtenir l’avis favorable d’une majorité des représentants. Or, un tel processus n’ayant jamais été engagé, en l’état actuel de la loi, le commissaire Appadoo se serait octroyé des pouvoirs dont il n’est pas investi.

Perversion du système démocratique? Outrage au gouvernement et aux parlementaires? Ce qui s’apparente à une usurpation de pouvoirs est susceptible d’entrainer de graves conséquences pour le commissaire. La seule destitution serait le moindre mal pour Vinod Appadoo, mais des suites pénales pourraient donner à son destin une tournure inattendue : se retrouver au nombre des détenus dont il avait consenti à en assurer la réhabilitation! ​​


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