OTAN, en finir !

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Oui à la paix ! Mais pour qui ? Certains peuples y auraient-ils droit plus que d’autres, selon qu’ils soient appréciés des Européens et des Américains ? Par ces questions, ceux qui nous lisent auront compris que le journalisme que nous pratiquons chez Indocile ne consiste pas à aboyer avec la meute. Pour nous, ce n’est pas un métier qui s’accommode des penchants populaires et où l’on se fait l’écho d’une bien-pensance qui varie selon l’air du temps. Notre métier consiste essentiellement à procéder à la vérification des rumeurs qui nous parviennent et, c’est selon la part de véracité que nous parvenons à établir que l’on s’autorise la publication de ce qu’il convient de présenter comme de l’information.

Les opérations militaires qui ont lieu actuellement en Ukraine, et la propagande des belligérants qui y est associée, soulèvent bien des passions en Europe et ailleurs. A Maurice, où la population est généralement moins portée aux affaires étrangères, les Iliens qui ont accès à la presse occidentale sont plutôt perméables à la propagande que celle-ci véhicule. La presse locale, qui reprend ces versions sans vérification, contribue à distiller le point-de-vue occidentalisé. Il en découle des sentiments favorables aux Européens et aux valeurs qu’ils professent, et c’est ainsi qu’on voit les locaux louant ici la résistance et souhaitant là-bas la paix. D’où la question : la paix, pour qui ? Peut-on, sous prétexte de la promotion de la démocratie s’autoriser une politique expansionniste menaçant la sécurité stratégique de la Russie ? Est-il raisonnable de s’attendre que cette superpuissance politique, économique et militaire n’en fasse rien ?

Avant même l’invasion de l’Ukraine par les troupes russes, la guerre informationnelle avait démarré. Pour les spécialistes de l’information et de la communication n’ayant pas partie liée aux forces en présence, chaque tentative de diabolisation de Vladimir Poutine durant les pourparlers indiquait, en réalité, l’enlisement du processus diplomatique.

Il faut bien se rendre à l’évidence : la prolifération des sources d’information n’a pas contribué à mieux informer les masses populaires et les réseaux sociaux ne sont ainsi que trop souvent des caisses de résonnance de la médiocrité qui afflige désormais nos sociétés. Devenus incapables de comprendre et ainsi de débattre avec l’autre avec qui l’on diffère, on s’émeut et on promeut son point de vue comme s’il était le seul légitime et on procède à l’exclusion de la différence. Pour les propagandistes, ce narcissisme collectif est un terreau fertile. Il suffit de trouver les bons acteurs, ces « influenceurs » plus à même de séduire plutôt que de convaincre.

Perception et sympathies populaires

Qu’il y ait autant d’Occidentaux en général, et des Européens en particulier, qui s’émeuvent et prennent fait et cause pour l’Ukraine tient surtout de la sympathie populaire pour son président, Volodymyr Zelenskyy. Avec lui, on peut dire que les Américains ont eu la main heureuse : son élection émane justement de son étonnante capacité à charmer son auditoire. Humoriste et homme de télévision, voilà un showman, un fort-en-gueule qui offre un contraste plus plaisant que Vladimir Poutine, ce fort-en-thème au visage indéchiffrable. Car, les Occidentaux, et les Américains en particulier, sont de très faibles physionomistes dès que les caractéristiques ethniques tombent hors des catégories qui leur sont usuelles.

On peut ainsi aisément comprendre que, les émotions ne transparaissant pas facilement sur le type de visage de Poutine, il était relativement facile pour les propagandistes de le déshumaniser dans la perception populaire et ainsi le décrire comme un monstre froid. En somme, Poutine est victime du délit de faciès, alors que son homologue ukrainien est davantage dans la norme des blancs Caucasiens. Pourtant, les observateurs sérieux savent que ces considérations n’interviennent pas dans les processus décisionnels à Washington comme à Moscou, mais la propagande a besoin de ses acteurs de premier plan comme de ses têtes de turc.

Il n’y a pas que les Occidentaux qui sont sous le charme de Zelenskyy. A Maurice, par exemple, le message selon lequel le président ukrainien aurait fait preuve d’un leadership inspirant passe sans grande difficulté. On trouve même Philippe Espitalier-Noël qui en met une couche sur les réseaux sociaux. Pas sûr qu’Amédée Maingard de la Ville-ès-Offrans, son plus illustre prédécesseur à la tête de Rogers, aurait osé la même appréciation. Maingard, un membre de la SAS de la Royal Air Force avait été parachuté derrière les lignes allemandes pour organiser la résistance en France. Opérant sous le nom de code Samuel, il est l’un des 59 hommes choisis par le capitaine Travis Tonkin pour mettre au point les actes de sabotage en vue de favoriser le débarquement des forces alliées, le tournant décisif menant à la déroute de l’armée allemande. Ceux qui ont lu les technicités de l’opération Bulbasket peuvent avancer que ni Tonkin, ni Maingard n’auraient inclus l’artiste Zelenskyy au sein d’un tel commando.

Mais soyons justes : ce positionnement de la part d’un responsable d’une des plus grosses compagnies mauriciennes peut paraître courageux. Mais il y a aussi une part d’ambiguïté : est-ce le patron de Rogers qui s’exprime ou le chargé de mission du consulat du Danemark à l’île Maurice ? Est-ce un jugement fondé sur les niveaux d’exigence d’un chef d’entreprise ou plutôt une déclaration d’allégeance du représentant consulaire du Danemark ? C’est aussi ambiguë que la position du Danemark au sein de l’UE : membre de l’Europe depuis 1973, ce pays dirigé aujourd’hui par une eurosceptique s’est toujours braqué dans la revendication de sa souveraineté et a choisi le Opt-Out plutôt que d’adopter l’Euro comme monnaie. Même si l’auteur de ces lignes est bien disposé à en discuter amicalement avec Son Excellence, il faudra bien convenir que ce n’est pas parce que les deux font des bulles que l’on devrait confondre une Carlsberg et le champagne…

Un traitement médiatique déficitaire

Nous avons préféré publier une autre expression que nous avons trouvé plus courageuse encore, celle venant notamment de Fadya Nazirkhan. Courageuse car, elle pose plus clairement le statut avec lequel elle s’exprime sur LinkedIn : elle est une professionnelle de la communication, formée en Russie au journalisme et aux relations publiques. Elle évoque le problème essentiel, en l’occurrence la barrière de la langue qui fait que la presse locale reprend, comme allant de soi, les versions des médias occidentaux qui eux-mêmes, en raison des mêmes difficultés langagières reprennent des dépêches d’agences qui sont le plus souvent abreuvés par des sources gouvernementales des différents pays de l’UE. En quelques lignes, elle a mis le doigt sur la faiblesse majeure de notre profession et, pour nous qui nous sommes donnés pour mission de mettre l’actualité en perspective, ce choix s’imposait.   

Au-delà des problématiques soulevées par Fadya Nazirkhan sur le traitement médiatique de la question ukrainienne, il y a un fait étonnant que nous avons relevé dans notre dossier, c’est que Zelenskyy fait bien partie de ceux dénoncés par les journalistes occidentaux s’appuyant sur les recherches du consortium international des journalistes qui avaient enquêté sur les fameux Pandora Papers. Et, tout à coup, cette presse occidentale est frappée d’amnésie alors qu’elle est en devoir, autant que les lecteurs sont en droit, de se demander si le présumé corrompu n’aurait pas récidivé.  

La question est essentielle car, voilà un homme qui va engager son pays et sa population dans une guerre contre la Russie et qui va se fier à des partenaires européens dont l’état d’impréparation ne faisait aucun doute. D’ailleurs ce n’est qu’au jour 5 de l’invasion russe que les pays européens s’accordent à débloquer environ 450 millions d’euros pour l’acheminement d’armes vers l’Ukraine. C’est d’une inconséquence inimaginable ; alors que les troupes russes sont déjà à Kiev et bombardent des cibles névralgiques, l’Europe s’apprête seulement maintenant à armer des civils qui ne connaissent pas grand chose au maniement des armes qui leur seront procurées. Autant dire que l’Europe a choisi d’en faire de la chair à canon et, au point où l’on en est, la propagande occidentale n’hésitera pas à attribuer à la Russie la responsabilité de cette boucherie !

Plaider l’ignorance relève de la désinformation

Comme nous en faisons état dans un précédent article, la réaction russe est motivée essentiellement par la question de l’équilibre nucléaire. Alors que l’on sait que la proximité de frappes éventuelles de l’OTAN est une considération existentielle pour la Russie, l’Ukraine va néanmoins faire part de son vœu d’intégrer l’alliance militaire atlantique ! Comprenons bien de quoi il en retourne : l’Ukraine de Zelenskyy ne cherche pas à se rapprocher des structures politiques et commerçantes de l’Europe, mais à intégrer la structure militaire des Occidentaux qui menace son voisin. Plutôt que de la témérité, une telle provocation relève de l’inconscience !

Que la plupart des médias occidentaux ont voulu faire accroire que la réaction de la Russie était inattendue relève tout simplement de la désinformation. Cela peut être établi et c’est sans conteste. La réponse de la Russie sur cette question d’un éventuel rapprochement de la portée de frappe de l’OTAN n’a jamais fait l’objet de quelque mystère. Ainsi, la réaction concrète de l’armée russe est sans équivoque depuis 2008 au moins. Dans les faits, nous savons tous ce qu’il en a été pour la Georgie et pour la Crimée. En outre, Vladimir Poutine lui-même a, à plusieurs reprises, (et en particulier après l’annexion de la Crimée en 2014), répondu ouvertement aux questions des journalistes de la presse internationale à ce sujet. Alors, comment diantre la presse occidentale peut-elle prétendre que la réaction de la Russie était imprévisible ?

Pas plus tard qu’hier, Jacques Attali, l’écrivain économiste et ancien haut fonctionnaire français qui poste régulièrement sur LinkedIn, indiquait qu’il avait prédit cette issue dans son livre « Vivement Après Demain ». Le livre a paru en 2016. Attali n’est pas un inconnu au plan européen et les journalistes européens ont bien fait la recension de son livre au moment de sa parution. Alors, imprévisible ? Et quid de cette conférence donnée par le John J. Mearsheimer en juin 2015 à l’université de Chicago ? Ce professeur émérite des sciences politiques s’adressait aux alumnis de cette université qui a posté le document vidéo sur YouTube. Ainsi, six ans et demi auparavant, il décrivait une situation qui éclaire avec une redoutable précision les événements qui se déroulent aujourd’hui en Ukraine. Le document vidéo enregistre plus de 13 millions de vues ; mais la presse occidentale est déjà trop engagée dans sa dérive propagandiste pour oser faire marche arrière.

Paresse de la presse et imbécilité de la masse

Les propagandistes disposent d’une combinaison essentielle : parier sur la paresse de la presse qui ne va pas chercher à vérifier la rumeur et aussi, sur l’imbécillité de la masse toujours disposée à croire les lieux communs – ce que le Pr Mearsheimer appelle le « conventional wisdom ». Le drame de l’information aujourd’hui c’est qu’il y a, d’une part, une presse qui se fait le relais des « versions officielles » – et on le voit bien à Maurice où des ministres se réfèrent au GIS comme autrefois les Soviétiques avec la Pravda. D’autre part, il y a cette masse populaire aussi friande du prêt-à-penser comme elle l’est du prêt-à-porter et les repas prêt-à-emporter.

Mais, désormais nous ne sommes plus dans le statu quo. La réponse de l’armée russe qui assiège Kiev ne laisse aucune place à l’ambiguïté. Que l’on veuille s’émouvoir des appels d’un guignol qui a engagé son peuple sur une vaine promesse américaine ne change rien à l’affaire. L’OTAN n’est plus que dans la gestion d’une énième bourde causée par les avidités des Occidentaux.

Au-delà des mièvreries exprimées sur Facebook au sujet du soutien pour les Ukrainiens, des réclamations pour la paix et tutti quanti, dans la réalité, une guerre se règle à coups de canons et non dans le gémissement des violons. Et il faudra bien, après la Serbie, la Libye, l’Afghanistan, l’Irak, etc. faire le compte des morts que nous laisse à chaque fois cette alliance qui cherche toujours à faire ses courses chez les autres. Et peut-être qu’à la fin de cet énième décompte morbide, l’Europe conviendra que le fonctionnement de l’OTAN rend le plus mauvais service à ses objectifs de paix. Et quand il en est ainsi, autant en finir !

Joël TOUSSAINT


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