UN HOMME EST MORT!

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Les avocats Goodary, Valayden et Teeluckdharry présentent des indices qui font passer la mort suspecte de Soopramanien Kistnen (en haut à droite) de suicide en homicide. Deux personnes mises en cause à ce stade par la veuve de Kistnen: le ministre Yogida Sawminaden (en h à g) et son frère Koomadha Sawminaden (à d, deuxième rangée).

Agent politique déclaré du ministre Sawminaden, Soopramanien Kistnen faisait définitivement partie de cette catégorie de personnes, à qui l’on affuble le sobriquet de « rodère boute ». Ses intérêts étaient centrés sur l’obtention de faveurs et de commissions depuis les organismes publics et parapublics, grâce à ses connexions politiques. Il ne méritait cependant pas de mourir…

Si l’on en croit son épouse Simla Kistnen, feu Soopramanien Kistnen était un habitué des appels d’offres publics. On sollicitait sa participation à ceux-ci, en lui faisant comprendre que l’heureux bénéficiaire serait une autre partie, mais qu’il lui serait versé quelque compensation. Enfin que l’ascenseur lui serait renvoyé, le moment venu, avec un contrat en bonne et due forme pour son bénéfice personnel.

Il participait ainsi au dysfonctionnement chronique de l’attribution des marchés publics et à la distorsion des règles de bonne gouvernance. Les cercles du pouvoir actuel, comme leurs devanciers, auront ainsi pu fausser les données avec la complicité de tels agents et leur rôle est de brouiller les pistes contre compensation.

La Veuve Kistnen précise aussi que parmi ces contrats auxquels concourrait le défunt, se trouvaient des commandes passées dans le sillage de l’épidémie du Covid par la State Trading Corporation (STC), département relevant du ministère du Commerce, dont le ministre de tutelle est justement Yogida Sawminaden.

Ces contrats sont ceux qui ont été accordés en biaisant les dispositions du Public Procurement Act. On sait que ces contrats ont grandement bénéficié à des proches du directeur de la STC, Johnathan Ramsamy, notamment son beau-frère Deepak Bonomally, ainsi que d’autres proches du régime, souvent pas engagés sur ces secteurs d’affaires comme l’hôtelier Bissoon Mungroo.

L’ICAC, après s’être fait tirer les oreilles sur sa lenteur à réagir, a daigné démarrer des investigations qui ont amené l’interpellation de certains bénéficiaires des contrats pour blanchiment d’argent. Si le choix de ces charges paraissait étrange, car il éloignait alors l’enquête de toute allégation de malveillance et de corruption, donc de rechercher si des commissions ou d’autres actes de corruption avaient été commis avant d’octroyer ces acquisitions ultra-rapides à des proches du pouvoir, la mort de Kistnen dans ce qu’il parait être de plus suspect, fait ressurgir les doutes sur le caractère réel de ces transactions.

Dysfonctionnement chronique de l’attribution des marchés publics

En effet, si l’on examine désormais les faits de l’affaire Kistnen, le Medical Gate ne serait plus seulement source de conflits d’intérêts potentiels mais aussi de trafic d’influence. Et certainement pas constitutifs de blanchiment d’argent ! La législation compétente, soit la Section 10 du PoCA, dispose que (seuls les parties utiles au contexte sont reproduites) :

‘Trafic d’influence’

(1) Any person who gives or agrees to give or offers a gratification to another person, to cause a public official to use his influence, real or fictitious, to obtain any work, employment, contract or other benefit from a public body, shall commit an offence and shall, on conviction, be liable to penal servitude for a term not exceeding 10 years.

(2) Any person who gives or agrees to give or offers a gratification to another person to use his influence, real or fictitious, to obtain work, employment, contract or other benefit from a public body, shall commit an offence and shall, on conviction, be liable to penal servitude for a term not exceeding 10 years.

(5) Any public official who solicits, accepts or obtains a gratification from any other person for himself or for any other person in order to make use of his influence, real or fictitious, to obtain any work, employment, contract or other benefit from a public body, shall commit an offence and shall, on conviction, be liable to penal servitude for a term not exceeding 10 years.

Le terme de « public official », selon le PoCA, est défini tel quel :

“public official” –

(a) means a Minister, a member of the National Assembly, a public officer, a local government officer, an employee or member of a local authority, a member of a Commission set up under the Constitution, an employee or member of a statutory corporation, or an employee or director of any Government company; and…

Quant à celui de « gratification » il se qualifie ainsi :

“gratification” –

(a) means a gift, reward, discount, premium or other advantage, other than lawful remuneration; and

(b) includes –

(i) a loan, fee or commission consisting of money or of any valuable security or of other property or interest in property of any description;

(ii) the offer of an office, employment or other contract;

(c) the offer or promise, whether conditional or unconditional, of a gratification;

Ceci requiert quelques commentaires : déjà le fait que l’obscur M. Kistnen ait eu vent de ces contrats, demeurés inconnus du grand public et qu’il ait soumissionné pour ceux-ci, alors même que rien ne le prédisposait à s’y intéresser, parait pour le moins étrange.

Yogida Sawminaden est un habitué de la tourmente et des affaires douteuses. Chacun de ses portefeuilles a été marqué sous le sceau de l’infamie des scandales.

Mais, en outre, selon son épouse, en compensation de sa participation aux appels d’offres, « pour faire le nombre », il était « compensé » pour avoir aidé à designer le bénéficiaire en toute légalité. Par ailleurs il lui avait été également promis un autre contrat, en l’occurrence le nettoyage des locaux et entrepôts de la STC, contrat d’une valeur de Rs. 330 Millions, mais il a été devancé par d’autres ce qui aura provoqué sa rage et sa perte.

Cela signifie que, tout comme également d’autres soumissionnaires, Kistnen ait participé à un trafic d’influence à grande échelle. Si l’on vérifie tous les appels d’offres auxquels le défunt aura participé et qu’on vérifie parallèlement ses comptes, et ceux de ses proches, pour identifier les fameuses « gratifications », on aura une idée plus complète de l’ampleur des affaires douteuses et de l’importance du système mafieux auquel nous sommes confrontés. Ce même système qui aura coûté la vie au défunt !

Il convient, en effet, de se rappeler ici, qu’avec cette affaire, qu’un palier a été franchi dans la longue liste des scandales politico-financiers qui ponctue notre actualité. Désormais quand quelqu’un gène on s’en débarrasse, non pas en l’achetant, ni en le menaçant, ni non plus en le discréditant ou en le ruinant, voire en soulevant contre lui les moyens de l’administration publique et policière ! On le fait tuer…

Un homme est mort ! Il était loin d’être parfait et avait sûrement contribué à accroître le système de corruption qui nous englue et nous étouffe. Qui nous vaut d’être sur la liste noire de l’UE ! Et la liste grise du FATF ! Mais en aucun cas, ne méritait-il de mourir ! Il laisse derrière lui une famille qui demande justice contre un crime, le meurtre d’un homme qui menaçait de parler et de révéler la vérité sur un trafic d’influence au sein du ministère du commerce, ministère de tutelle de Yogida Sawminaden.

Habitué de la tourmente et des affaires douteuses

Celui-ci ne peut faire comme si de rien n’était ! Mme. Kistnen l’accuse même et désigne deux suspects : « Soit Yogida, soit Khomada (frère du précédent) kine faire ça », affirme-t-elle ! Car en sus, on découvre qu’il y a escroquerie aux fonds publics, Mme. Kistnen déclarant qu’on a faussement utilisé sa personne pour que soit versé un salaire de constituency clerk à son nom alors qu’elle ne le serait pas et qu’elle n’en a jamais bénéficié. Mais ces sommes ont quand même été payées par l’Etat au ministre.

Le ministre a, pour sa part, protesté de sa bonne foi dans ce qui parait être un assassinat évident, mais que la Police a voulu au départ traiter en suicide, sa division scientifique négligeant (sciemment ?) des indices qui crevaient les yeux, tout comme il s’affirme innocent dans l’affaire du faux contrat de constituency clerk. Le ministre fait également feu de tout bois et vient même larguer son propre frère, en affirmant que les deux hommes sont en très mauvais termes et ne se parleraient plus. Il faudra juste nous expliquer alors comment l’agent du ministre, soit le défunt, était-il autant en rapport avec le frère en question ?

Mais il n’y a pas que cela comme casserole que traîne Yogida Sawminaden ! Ministre depuis 2014, successivement à la Jeunesse et aux Sports, puis aux TICs, enfin au Commerce et à l’industrie, Yogida Sawminaden est un habitué de la tourmente et des affaires douteuses. Chacun de ses portefeuilles a été marqué sous le sceau de l’infamie des scandales, notamment les Rs. 130 millions payés pour des tablettes numériques jamais livrées par un contractuel. Et bien sûr, les Rs. 1,2 Milliards d’équipements médicaux post-Covid !

Il est aussi coutumier des nominations de ses proches, notamment son épouse, Wenda, notaire de son état, qui aura raflé nombre de contrats auprès d’organismes d’Etat, dont Rs. 7 millions d’honoraires pour la vente de la clinique Apollo Bramwell ; ou encore son beau-frère, Harrykhrisna Vydelingum, passé de la présidence de la Mauritius Post, sur fond d’accusations de conflit d’intérêts, à celle du MITD ; on dit aussi que le directeur de la STC, autre nominé qui lui doit tant, serait un cousin du ministre.

La famille Kistnen, bien déterminée à ce que l’affaire ne soit pas étouffée, a saisi la Cour de Moka pour faire ouvrir une enquête judiciaire sous l’empire de la Section 110 du District & Intermediate Courts (Criminal Jurisdiction) Act, par le truchement de ses hommes de loi. Le Parquet a aussi pris le train en marche, tandis que se déroule toujours l’enquête policière. Or, il faut savoir que traditionnellement c’est après l’enquête policière, que l’on demande l’ouverture d’une enquête judicaire, qui s’appuie sur les enquêtes policières et non, comme ici, sur les menées des avocats de la famille. Le monde à l’envers, dirait-on !

Ici encore, comme pour l’affaire Angus Road, où Roshi Bhadain demande à loger une private prosecution contre Pravind Jugnauth, c’est encore une fois une démarche citoyenne qui précipite les choses. Nos institutions sont silencieuses, voire inertes, ou carrément complices. La démarche des divers protagonistes est celle de David en marche contre Goliath, pire même contre le Léviathan des ténèbres. Comme un glas, nous entendons tinter la fin de de notre intégrité politique et démocratique. Surtout avec la caricature de démocratie à laquelle se livre le Gouvernement ces jours-ci à chaque séance parlementaire.

Ce sont littéralement en effet, avec ces diverses actions citoyennes, les dernières cartes de notre État de droit que nous voyons se jouer, nous autres citoyens ordinaires. Si ces actions devaient échouer, alors la perte de confiance dans les institutions, que ces échecs engendreraient, risquerait fort de laisser la place à une justice de vigilantes, aussi sordide que la mort du défunt, cependant que nous demeurerions pour très longtemps sur des listes noires de nos partenaires, au sein d’un État défaillant, notoirement corrompu et mis au ban de la société internationale.

Un homme est mort : sa famille demande justice. Et cela est bien naturel…

Richard Rault


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