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Le Mouvement Indépendantis Rodriguais (MIR) aligne deux femmes comme candidates pour représenter Rodrigues à l’Assemblée législative. Carolina Castel et Angel Levêque ont, en effet, été désignées pour briguer les suffrages en vue d’affirmer la volonté d’indépendance de Rodrigues au parlement mauricien.
Agées respectivement de 37 et 33 ans, Carolina Castel et Angel Levêque représentent de facto une génération qui a grandi avec une administration sous tutelle coloniale, désignée juridiquement comme une « autonomie ». Il s’agit d’une génération qui a aussi fait l’expérience des limites de cet aménagement administratif : il constitue d’abord une entrave à la reconnaissance du peuple rodriguais au sein de la nation mauricienne (l’hymne national du Mauricien de la métropole clame « As one people… » et ignore tous les peuples autochtones issus des îles du territoire mauricien) ; il ne permet pas à Rodrigues de réclamer et de percevoir sa quote-part des avantages dont bénéficie l’économie mauricienne eu égard à la position géographique de l’île ; il ne permet pas à un gouvernement rodriguais d’engager le type de rapports diplomatiques plus favorable au développement des échanges commerciaux.
Carolina Castel, comme de plus en plus de jeunes Rodriguais, affirme son intérêt pour l’histoire politique de son peuple. Une histoire de combats multiples pour la reconnaissance des particularités rodriguaises. Certains pourraient considérer que cette lutte trouve son point d’orgue avec la contestation juridique au nom de Clément Roussety réclamant l’invalidation des élections de 1959 au motif que les voix rodriguaises avaient été ignorées lors de ces consultations populaires. Sir Henry Garrioch, alors responsable du Parquet, suggéra à l’administration britannique de recourir à un « Order in Council » qui avalisait a posteriori le manquement aux dispositions établies pour que les habitants de tous les districts puissent s’exprimer aux urnes. Fort du conseil de cet éminent juriste, le Colonial Office obtint l’ordre qui annulait ainsi l’examen de la pétition de Roussety. En soustrayant l’affaire du regard des juges de la Cour Suprême, les Britanniques sauvaient ainsi Sir Seewoosagur Ramgoolam, investi du pouvoir législatif avec le statut de « The Premier ». On connaît, en dépit de la fiction métropolitaine autour du personnage de ce « Chacha », le sort que ce laquais des Britanniques réserva aux peuples des territoires ultramarins de l’Etat mauricien lors de la transition constitutionnelle vers l’indépendance.
« Si Rodriguais pa ti dezir lindependans, MIR pa ti pu existe », affirme Angel Levêque sur sa fiche de présentation. Le vœu des Rodriguais pour un statut distinct de celui de Maurice s’était clairement exprimé dès les élections du 7 août 1967. Présentées faussement comme des élections référendaires jusqu’à encore tout récemment, les Rodriguais s’exprimèrent à une majorité incontestable (96,898% Guy Ollivry et 96,346% Clément Roussety) contre cette indépendance qui allait renforcer, par leurs votes, l’annexion de leur territoire à celui de Maurice.
Guy Ollivry fut débouté en présentant sa pétition pour inviter le Colonial Office à considérer le vote massif des Rodriguais. La position de la Grande Bretagne était qu’elle n’entreprendrait rien qui pourrait démembrer le territoire mauricien. Bien entendu, un argument en totale contradiction avec la décision d’exciser l’archipel des Chagos !
Brigitte Cupidon et l’opération “kas pavyon!”
Compte tenu des réactions hostiles de la population rodriguaise, le nouveau gouvernement de l’Etat indépendant de Maurice s’abstint de faire hisser le drapeau national à Port Mathurin le 12 mars 1968. Cette levée de drapeau eut lieu l’année suivante dans des conditions de révolte, au cours duquel une femme, Brigitte Cupidon, s’illustra particulièrement. C’est elle qui, pour mobiliser les hommes afin qu’ils s’opposent à la levée du quadricolore métropolitain, leur lança : « Prèt mwa zot kalson » !
C’est de ce mouvement populaire que vient le terme “Kas Pavyon”. Parce qu’il était un Rodriguais, les manifestants n’osèrent pas porter la main sur le sergent Capdor qui portait le quadricolore au mât. Ils s’étaient rués sur lui et le pauvre homme tint le drapeau à bout de bras au-dessus de sa tête. Alors, les manifestants commencèrent par couper le fil et finirent par endommager le mât. Une trentaine de policiers en provenance de la métropole mauricienne était déjà posté en renfort sur le territoire rodriguais à la suite d’une mini-émeute provoqué par des abus dans la distribution de pommes de terre aux habitants. Ceux-ci armés de baïonnettes et de gourdins chargea dans la foule sans ménagements. Fuyant dans la nuit, les Rodriguais découvraient l’odeur âcre du gaz lacrymogène et la violence policière. Brigitte Cupidon fut de celles à être arrêtés et acheminées à Maurice. Elle endura stoïquement sa peine de prison et rentra chez elle à Rodrigues. A notre connaissance, elle n’a jamais été honorée d’aucune manière pour son implication dans ce combat fondamental pour son peuple.
Le choix de MIR de présenter deux femmes à ces législatives de 2019 s’inscrit ainsi dans une double symbolique : celle de l’avènement de l’indépendance et celle de la volonté inébranlable de la femme rodriguaise.
C’est dommage que ces événements ne fassent pas parti des manuels scolaires. Merci de les rapporter sur votre site.