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Une page Facebook associée au journal Ny Valosoa Vaovao titre: « Covid-19, confinement, Andry Rajoelina, assassin ».
Arphine Rahelisoa, directrice de la publication du trihebdomadaire Ny Valosoa Vaovao a été placée en détention pour avoir mis en cause en cause, le président pour la gestion de la crise sanitaire en titrant dans une page Facebook associée au journal : « Covid-19, confinement, Andry Rajoelina, assassin ». Après ces mots durs à l’égard pouvoir et du président, Arphine Rahelisoa, considérée comme l’administratrice de cette page Facebook, a été placée en détention à la maison d’arrêt d’Antanimora, dans la capitale malgache. Chefs d’accusation : diffamation, propagation de fausses nouvelles et incitation à la haine contre le pouvoir. Par ailleurs, une animatrice TV a aussi été placée en détention provisoire mercredi 8 avril, soupçonnée de propagation de fausses nouvelles sur les réseaux sociaux concernant le nombre de cas de coronavirus.
Depuis, les appels à sa libération fusent, dont ceux de l’Union internationale de la Presse Francophone (UPF) et d’Amnesty International adressés aux personnalités de l’État malgache.« Un amalgame et des informations non recoupées », répond la ministre de la Communication et le Culture, Lalatiana Rakotondrazafy, aux deux organisations qui demandent la libération d’Arphine Helisoa.
Dans un communiqué publié samedi, la ministre explique : « Ce n’est pas nous qui avons initié l’action judiciaire, mais le ministère public qui s’est saisi d’office. C’est la justice qui a pris la décision de la placer sous mandat de dépôt. Par contre, la dame Arphine Helisoa a effectué une demande de liberté provisoire. Le ministère de la Communication et de la Culture laisse la justice faire son travail, nous espérons seulement qu’il puisse y avoir une décision qui va dans le sens d’un apaisement mais c’est à la justice de trancher. »
« Elle (Arphine Rahelisoa) n’a pas été poursuivie en tant que journaliste mais en tant qu’administratrice d’une page Facebook, c’était une publication de cette page qui a été incriminée. Ce n’est pas du tout un article de presse. C’est pour cela que ça ne peut pas être un délit de presse », se défend Lalatiana Rakotondrazafy. « Elle n’est pas l’administratrice de cette page Facebook », rétorquent cependant les avocats d’Arphine Helisoa, qui précisent que cette page est gérée en France. Ce qui serait d’ailleurs indiqué dans les détails de cette page Facebook, toujours consultable selon RFI.
L’animatrice de télévision arrêtée mercredi, (son identité n’est toujours pas révélée par les médias malgaches) est elle aussi jugée comme simple citoyenne. « Ce n’est pas une journaliste et ce n’est pas dans le cadre de son travail qu’elle a été incriminée », insiste la ministre de la Communication et de la Culture, qui précise que cette animatrice travaille pour une chaîne qui appartient à un ministre du gouvernement actuel.
Depuis le 26 mars, un avis de recherche avec une prime de 5 millions d’ariary (1 200 euros environ) avait été lancé pour retrouver l’animatrice télé qui parle dans ce post vidéo. Son tort ? Avoir évoqué dans une conversation privée enregistrée à son insu qu’il y aurait 200 cas confirmés de coronavirus à Antanarivo et 70 à Toamasina, mais que le gouvernement malgache empêcherait les journalistes de divulguer la vérité. Par conséquent, l’animatrice de télévision a été accusée de diffusion de fausses nouvelles pouvant causer des troubles à l’ordre public.
Du fait de la pandémie de coronavirus, les deux femmes ne savent pas quand aura lieu le procès et c’est ce qui préoccupe d’autant plus Amnesty International et l’Union de la Presse Francophone. À Madagascar, 55% des détenus sont en attente de leur jugement d’après un rapport d’Amnesty International. Le pays est régulièrement pointé du doigt pour ses abus de détentions provisoires.
C’est le président de l’ordre des journalistes de la Grande île, Gérard Rakotonirina, qui a fait ressortir c’est la première fois qu’une femme journaliste est arrêtée à Madagascar. « Une femme journaliste jetée en prison… de mémoire, c’est une première dans l’histoire de la presse malgache », affirme-t-il. La dernière mise en détention de journaliste à Madagascar remonte à 2015.
Le journal Ny Valosoa n’est plus diffusé en version papier depuis le début de l’épidémie, mais continue de paraître en ligne. La journaliste Arphine Rahelisoa, d’autant qu’elle est considérée proche de l’ancien président Marc Ravalomanana, a dû beaucoup agacé le président Rajoelina, qui encourage en ce moment le recours aux plantes médicinales pour soigner les personnes infectées.
La section malgache de l’Union internationale de la presse francophone (UPF), ne cache pas ses inquiétudes face à la manière dont la justice malgache a tranché l’affaire : « Le Parquet a choisi d’appliquer les dispositions du code pénal (article 91 alinéa 3) pour qualifier l’infraction et pour poursuivre la journaliste, et donc de délivrer un mandat de dépôt le samedi 4 avril, sans possibilité de connaître la date du procès », s’inquiète l’association dans un communiqué publié conjointement avec l’association des femmes journalistes de Madagascar (AFJM) le 5 avril.
Selon l’association des femmes journalistes de Madagascar (AFJM), « La loi sur la communication médiatisée a consacré la dépénalisation des délits de presse, si délit il y a, à l’égard des journalistes ; Arphine Rahelisoa fait partie des journalistes membres de l’association et la détention provisoire ne doit pas être généralisée, surtout à l’encontre de journalistes et dans l’état d’urgence sanitaire actuel ». Dans la foulée, ajoute l’UPF Madagascar, « le législateur a également abrogé les dispositions de la loi sur la lutte contre la cybercriminalité qui prévoyaient des peines de prison pour les délits de diffamation et d’injure ».