Les feux de l’amour – Les débuts tragiques des Hinduja à Maurice 

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Les tourtereaux se cachent pour mourir

Les liens des Hinduja avec l’île Maurice ont débuté dans des conditions dramatiques en 1992. Dharam, 22 ans, l’un des petit-fils du patriarche Hinduja – celui dont le conglomérat est l’un des principaux moteurs de l’Offshore mauricien – allait s’immoler dans les flammes en se rendant compte que la police mauricienne était à sa recherche. L’orthodoxie religieuse de sa famille était un obstacle à son mariage et, alors qu’il croyait avoir trouvé refuge à Maurice le temps d’un transit pour l’Australie, le Premier ministre Anerood Jugnauth allait contribuer aux harcèlements obstinés de cette famille à l’encontre de leur fils, plutôt que de procurer au jeune couple la protection à laquelle la Constitution mauricienne leur donnait droit.

Dharam Hinduja avait décidé d’épouser Ninotchka Sargon (égalememnt âgée de 22 ans) qui, selon India Today, serait « une Indo-Anglaise de confession catholique » dont la famille s’était établie en Australie dans le sillage du veuvage de sa mère. C’est qu’en réalité le nom Sargon renvoie à des origines perses – elle serait donc une Parsi, cette ethnie faisant partie d’une élite traditionnelle de l’Inde. Les Hinduja, pour leur part, sont originaires du Sindh, ceux que certains considèrent comme une élite hindoue sacrifiée au Pakistan au moment de la partition de l’Inde1.

Diplômé de la Wharton Business School de Philadelphie, Dharam, le fils unique de Srichand et Madhu Hinduja, envisageait de retourner aux États-Unis pour étudier le droit des affaires à l’université de Georgetown à Washington DC. Pensant le dissuader de ce mariage avec Ninotchka, la famille l’envoya chez son oncle Ashok en Inde. Mais, rompant avec la tradition, Dharam et Ninotchka se sont mariés secrètement au Chelsea Register Office, à Londres en janvier 1992. Il avait donc déjà épousé sa dulcinée et l’avait envoyé à Paris.

Le 13 mai, la police de Bombay est alertée du fait que la Maruti 1000 de Dharam a été retrouvée abandonnée près de la maison de son oncle. On pense aussitôt à un enlèvement. Mais, après avoir examiné la voiture, le commissaire adjoint Khan exclut cette thèse : « Elle semble trop amateur pour être un enlèvement perpétré par des gangsters ».

En fait, Dharam s’était échappé du cercle fermé que la famille tentait de former autour de lui. La voiture abandonnée n’était qu’une ruse pour gagner du temps avant d’être découvert. Il avait demandé à un ami de Londres de lui acheter un billet pour l’île Maurice, avec pour instruction qu’il puisse le récupérer à l’aéroport international Sahar de Bombay.

India Today qui reconstituait toute l’affaire citait Pramod K. Gujadhur, alors directeur régional d’Air Mauritius à Bombay. Il se souvenait de son apparence lorsqu’il a récupéré son billet à l’aéroport de Sahar : « Il était habillé de façon décontractée, avec une tenue en jean, une veste en bandoulière et il avait l’air très détendu ».

La traque

Ninotchka est arrivée elle aussi à Maurice, de Paris où Dharam l’avait envoyée après leur mariage. Le plan était de s’envoler quelques jours plus tard pour l’Australie où vit la mère de Ninotchka, Rita Sargon. La grande famille – Ninotchka est la plus jeune de 11 enfants – a émigré à Perth six ans après que son père, le commandant d’escadre Douglas Sargon, un ancien officier de l’armée de l’air IAF, soit décédé d’une crise cardiaque en 1979. L’oncle de Ninotchka, Harry Sargon, était lui directeur d’Air India en Tanzanie.

La tentative de Dharam de tromper sa famille allait échouer lamentablement. Le jeune couple avait pris une chambre d’hôtes bon marché à leur arrivée à l’île Maurice le 14 mai 1992. Les Hinduja savaient exactement où Dharam se trouvait dans les 24 heures suivant sa disparition. Srichand et Madhu ont, en effet, affrété un avion privé et sont partis pour l’île Maurice le 15 mai.

En fait, affirmait India Today, le Premier ministre PV Narasimha Rao avait appelé son homologue mauricien pour demander à la police locale d’aider les Hindujas. En outre, lors de ses auditions, la Coroners Court de Westminster découvrait que la très riche famille Hinduja avait payé pour que des annonces soient publiées dans les journaux mauriciens demandant où se trouvait Dharam, présenté comme disparu. Déjà les intérêts mercatiques prenaient le dessus sur les exigences éthiques de la presse et, faute de correction, la déviance est devenue une norme pour cette presse et son Media Trust.

L’île Maurice est un petit pays et Dharam a vite découvert que sa famille était arrivée et avait emménagé au Royal Palm. Dès qu’ils ont su que la police était sur leurs traces, le couple a fui la maison d’hôtes et s’est installé dans un autre hôtel. C’est à ce moment-là que quelque chose a changé dans l’esprit de Dharam, affirme l’Equipe initialement India Today. Réalisant que ce n’était qu’une question de temps avant qu’ils ne soient retrouvés, Dharam décidait de mettre fin à ses jours.

La tragédie

C’est le 16 mai à 9h45 que Dharam aspergeait le matelas de diluant à peinture (Thinner No 1) et y a mis le feu. Selon la déclaration de Ninotchka, ils avaient l’intention de mourir ensemble en inhalant les vapeurs toxiques.

Le plan a échoué lorsqu’une femme de ménage a remarqué de la fumée sortant de sous la porte de la chambre 303. Ils avaient pris soin de sceller portes et fenêtres. Autre précaution macabre : ils se lièrent les mains. Ninotchka réussit néanmoins à se libérer. Elle a montré à la police comment elle s’y est prise. Lorsque la porte a été enfoncée, Dharam, dont les vêtements étaient en feu, a ouvert la fenêtre et a essayé de sauter. La bonne entendit Ninotchka, dont les mains étaient brûlées, crier : « Ne fais pas ça ! Je t’aime, je t’aime ». Le courant d’air qui sortait de la fenêtre attisa les flammes qui engloutirent le jeune homme. Il était brûlé à 60 %.

Dharam fut rapidement ramené dans un hôpital londonien. Le 19 mai, il succombait à ses blessures. Lors de la cérémonie traditionnelle, au cours de laquelle des centaines de personnes en deuil s’étaient rassemblées à Carlton House Terrace, dans l’immense demeure des Hindujas, à Londres, deux prêtres hindous ont aspergé le corps du défunt de l’eau du Gange. Le lendemain, son corps était transporté par avion à Bombay et incinéré au crématorium de Santa Cruz, non loin de l’endroit où Ninotchka avait vécu lorsqu’elle était petite.

Lorsque Dharam fut emmené à Londres, les Hindujas emmenèrent Ninotchka avec eux. A la police mauricienne Srichand déclara : « Elle est l’une des nôtres ». La tragédie imprimait son ironie à cette déclaration. Cette reconnaissance venait bien trop tard.

Indocile est parvenu à retrouver Ninotchka, par le biais d’un obituaire à la mémoire de Rita Sargon, sa mère. Nous savons qu’elle a pu s’éloigner de l’univers toxique des Hinduja et se refaire une vie en Australie où elle est désormais l’épouse d’un M. Peters. Une visite en Inde avec l’une de ses proches semble attester d’une thérapie réussie au plan psychologique pour qu’elle puisse renouer avec le territoire où elle avait développé ses liens affectifs avec Dharam. Comme pour tous les Roméo et Juliette dont les amours sont contrariés, il y a une famille nocive, et ceux sur qui ils peuvent exercer l’influence de leur fortune, pour précipiter la fin des sentiments que leurs aveuglements estiment interdits. Jusqu’où la tragédie plonge-t-elle dans la honte ceux que l’amour-propre a fui ? La saga familiale des Hinduja nous apprend que c’est jusqu’à ce que ce soit honte bue. Et les goulus du fric ont autant une sacrée descente qu’une soif insatiable. Ici, Anerood Jugnauth avait imprimé sa marque : « Moralité pa ranpli vant ». Et depuis, chaque élection nous impose l’évidence que la majorité des Mauriciens souscrit à cette indignité.


1  Il faut tenir compte des histoires particulières dans cette question de partition entre l’Inde et le Pakistan. Alors que les Sindh, d’origine Rajput pour une grosse majorité, et se revendiquent comme des Indiens sacrifiés durant cette période, on ne peut ignorer la conversion à l’Islam de nombreux Rajput et leur statut social privilégié. L’exemple le plus probant est celui de la famille de Zulfikar-Ali-Bhutto qui, avec sa fille Benazir, devinrent les figures emblématiques du Pakistan en accédant à la présidence du pays. A Maurice, le principal référent Sindhi est Sudamo Lal, directeur de la Mauritius Revenue Authority (MRA), considéré inamovible compte tenu de la main-mise des services indiens sur les différentes structures névralgiques de la souveraineté mauricienne.


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