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Ce n’est pas parce que Somas Appavou s’est prêté au ridicule qu’il convient de se focaliser sur Air Mauritius au moment où quelques bourdes institutionnelles ont ajouté à la panique et contribué à l’hystérie collective dans le sillage de la crise sanitaire suscitée par le coronavirus. Là où nous devons nous interroger c’est comment, au pays qui s’enorgueillit d’une sommité de la médecine comme Brown Sequard1, nous ayons à rendre compte de l’absence de sang-froid et de bon sens de nos responsables institutionnels, avec en tête le ministre de la Santé lui-même. Alors que le taux de fatalité est de loin bien inférieure à celle du SRAS, la joute parlementaire entre le Leader de l’Opposition et le ministre de la Santé nous indique que c’est le niveau de trivialité qui pourrait être fatal à la population mauricienne.
A défaut de raison garder dans sa prise de parole publique, Somas Appavou devra se faire une raison face à ceux qui, plus raisonnablement au sein de MK, considèrent les procédures et la pertinence de leurs applications face aux urgences de l’heure. Il y a de multiples mécanismes au sein de cette compagnie qui permettent d’appliquer les mesures les plus appropriés pour peu que les compétences réelles ne se laissent pas intimider par le lot d’irresponsables hérité des nominations politiques des gouvernements successifs.
En réalité, que Somas Appavou ait eu, en 24 heures, à ravaler ses propos au sujet du maintien des opérations sur la Chine et qu’il soit devenu la risée jusqu’au sein même de son personnel, nous éloigne de considérations plus importantes eu égard à la menace de contagion avec le coronavirus de Wuhan.
La présente crise sanitaire constitue un dilemme pour tous ceux qui ont pour mission d’informer, de communiquer et d’éduquer. Pour cette mission, les gens de presse se retrouvent en première ligne, avec la tâche d’appliquer les filtres qui permettent de neutraliser les « infaux » issus de la rumeur et de rendre plus audibles des voix qui rendent le phénomène plus intelligible. A ce chapitre, il nous faut dès le départ convenir de la part de responsabilité de la presse dans l’affaiblissement de la résistance immunitaire de notre population face à l’exploitation partisane de tout phénomène susceptible de remuer la sphère médiatique et les réseaux sociaux.
La naïveté populaire se reflète dans les pratiques journalistiques et celles des communicants lors des situations de crise. L’absence de formation, voire même d’une réflexion sur le sujet, au sein des rédactions, des conglomérats et de l’administration publique est évidente. Les conglomérats, tous orientés vers les seuls objectifs de vente, sont d’ailleurs encore au stade infantile et infantilisant de la communication marketing tandis qu’ailleurs on se contente de réduire les crises à leurs aspects opérationnels, laissant ainsi l’action à la force policière, aux pompiers et aux urgentistes. Le reportage sur ces activités donnent alors aux gens de presse le sentiment d’avoir accompli leur mission, au point même où certains journalistes s’abandonnent aux selfies post-cycloniques comme si la performance médiatique se résumait désormais au temps passé à l’antenne. Au marathon des porteurs de crachoirs, qui se soucie que l’information soit vidée de sa substance éducative ?
Mais, n’allons pas vite en besogne et jeter le bébé avec l’eau du bain. On voit bien poindre, dans le vaste désert des vanités journalistiques, des initiatives pour tenter d’apporter les nécessaires contrepoints à la seule parole institutionnelle ; une parole qui se décrédibilise davantage avec l’apport de ces conseillers qui, hier encore, vantaient la transparence et aujourd’hui se disent en faveur du port du voile pour ces mêmes faits que leurs anciens confrères ont pour devoir d’exposer.
La Chine, ce n’est pas que du chinois…
Ainsi, nos confrères Jane Lutchmaya et Eshan Deenally, plutôt que de se contenter d’un flash au nom de l’exclusivité, prenaient le temps de s’entretenir longuement avec le Dr. Mouniir Durgahee, médecin mauricien qui exerce à Wuhan. L’occasion fait le larron, dit-on, mais les opportunistes sont justement ceux qui ayant le sens de l’opportunité, la convertissent en but. Ainsi, leurs questions, même quelquefois candides, permettait au médecin de rectifier les perceptions erronées sur la Chine et offrait une meilleure perspective des réponses des autorités chinoises aux différents enjeux de cette crise sanitaire. Le jeune médecin a été peut-être, par ses réponses sobres et détaillées, sinon un bien meilleur diplomate que le titulaire pour l’État mauricien en Chine, certainement celui qui aura adroitement anéanti les quelques allusions caricaturales et grossières des racistes qui sévissent sur Faceook.
Mais, c’est justement au moment où, de nombreuses instances internationales s’accordent à reconnaître que la Chine fait preuve d’une collaboration exemplaire avec de nombreuses institutions du monde médical et scientifique, que l’on réalise que ce pays est capable de mettre en œuvre la transparence la plus effective afin d’obtenir la coopération de cette multitude qui doit être isolée. Mettre plus de onze millions de Chinois sous cloche n’est pas une mince affaire. Ce n’est pas possible en jouant seulement de la contrainte. Or, malgré toute la propagande occidentale sur la question de l’opacité comme pratique usuelle du gouvernement chinois, on s’aperçoit que la Chine n’a pas eu à recourir à son armée pour obtenir la coopération du peuple chinois. Et c’est bien dans la mesure où nous touchons de plus près à des notions culturelles que cela qui devrait nous interpeller.
Ce que la Chine est en train de réussir par ces temps d’épreuves provient fort probablement du fondement même de l’être chinois, le « Zhōngguó rén ». Déjà, nous n’évoquons pas « le Chinois » qui pourrait inviter à appréhender un individu uniquement selon sa nationalité. On notera ensuite que nous n’évoquons pas un « individu » car, malgré les pulsions individualistes que le « Zhōngguó rén » pourrait ressentir comme n’importe qui, l’être chinois se définit dans sa culture de la collectivité qui date déjà des périodes impériales. Son nom d’ailleurs en atteste, c’est un nom à particules ; rien à voir avec les délires de cultures occidentalisées pour ce qui relève des signes de nobilité authentiques ou fantasmés. Le nom du « Zhōngguó rén » nous indique la primauté de son clan, précédant le nom du père pour ensuite désigner l’individu lui-même. De la même manière, ceux qui écrivent à des correspondants en Chine savent que l’adresse indique en premier lieu la République Populaire de Chine, sa province, sa ville, et ce n’est que dans cet ordre que l’on désigne complètement à la fin, l’individu à qui la lettre est adressée. La grandeur de la Chine tient au fait que les mérites de l’individu se mesurent à l’aune du bénéfice à la collectivité. Et c est ce qui fait qu’à l’heure du danger, les Chinois se donnent les moyens de sauver leur peuple.
Dans cette mise en contexte, on prend mieux la mesure, non seulement du témoignage du Dr. Durgahee, mais aussi celui de Deenraj Kush Dhoomun, le Mauricien étudiant en médecine qui s’est porté volontaire pour faire partie de l’équipe médicale à Wuhan. Dans l’entretien qu’il accordait à China Global Television Network (CGTN), il affirmait d’une part se sentir en sécurité à Wuhan et, d’autre part, que son chargé de cours ne l’a pas inclus malgré sa requête puisque son manque d’expérience le mettait potentiellement en danger. On réalise que les responsables chinois ne se laissent pas émouvoir par le sentimentalisme du jeune Mauricien qui est resté dix ans à Wuhan ; ils sont davantage mus par une unique considération : la réduction des risques.
L’isolation, mesure complémentaire à la quarantaine
Ici à Maurice, même si le nouveau ministre de la Santé, le Dr. Kailash Jugatpal, va s’évertuer à convaincre que « Maurice est tout à fait prêt à combattre ce type de virus d’envergure », dans les actes on finit très vite par se rendre compte qu’il ne tient même pas le second rôle dans le script de Nando Bodha. Les titres de presse en attestent : c’est Somas Appavou, le DG d’Air Mauritius, qui lui vole la vedette lors de la conférence de presse du 27 janvier, en annonçant le maintien des vols d’Air Mauritius. Or, une telle annonce constituait en réalité une indication que les cadres du ministère de la Santé avaient omis le principal point de contrôle critique dans l’analyse des risques de contamination : le transporteur national lui-même !
La stratégie pour enrayer une contagion consiste, en effet, à isoler les zones touchées par l’épidémie. C’est ce que vont faire les autorités chinoises. Au-delà, dans les autres pays, pour que les mesures soient effectives, il s’agissait, d’une part, de mettre les passagers en provenance de Wuhan en quarantaine et, d’autre part, de s’assurer de l’absence de symptômes chez ceux venant de la Chine et des pays limitrophes. Mais pas seulement. Il s’agissait aussi de rendre la quarantaine effective seulement en isolant effectivement Wuhan, l’épicentre de la crise sanitaire, et la Chine elle-même. La fanfaronnade d’Appavou n’est donc possible que dans la mesure où MK ne fait l’objet d’aucune restriction de la part du ministère de la Santé !
C’est là que l’on s’aperçoit que ce cher Docteur Jugatpal est un médecin-crétiniste capable d’anesthésier les facultés de toute la flopée médiatique venue assister à la fameuse conférence de presse du 27 janvier. A aucun moment on ne lui demande, et encore moins à Somas Appavou, de la suite à donner au cas où des membres d’équipage seraient placés en quarantaine à Shanghai ou à Hong-Kong ! Personne ne leur demande quel est le plan prévu au cas où c’est le commandant de bord lui-même qui est placé en quarantaine sur le territoire chinois !
C’est ahurissant que personne, ni au ministère de la Santé, ni celui des Affaires Etrangères, ni dans la presse, ne s’interroge sur l’éventualité d’un tel scénario. Car, concrètement, si ce sont des membres du personnel en cabine qui seraient placés en quarantaine, cela signifie que ce sont autant qui s’en iraient grossir le contingent de Mauriciens en Chine et si c’est au niveau du poste de pilotage, cela signifie éventuellement l’immobilisation pure et simple de l’appareil à Shanghai, avec l’ensemble de l’équipage qui reste ainsi sur place. Car, depuis son affectation à Shanghai, le fameux Mike Seetaramadoo, (l’homme dont l’examen des attestations avait provoqué des messes-basses au sein du conseil de surveillance de la compagnie menant au limogeage de l’ancien DG, Megh Pillay), y a fait écourter les rotations de l’équipage qui ainsi reprend le même appareil pour rentrer à Maurice après le temps de repos prescrit (minimum crew rest).
Dans l’équation, il y a aussi et surtout le sort de cette vingtaine de Mauriciens qui se retrouvent à Wuhan. Cette question est initialement évoquée par le Leader de l’Opposition, le Dr. Arvin Boolell. Faut-il ou non les rapatrier ? Plutôt que d’énoncer aussi clairement cette question, Arvin Boolell va tenir des propos sibyllins. Le Leader de l’Opposition évoque la nécessité d’un comité national multisectoriel pour la gestion de cette crise, mais le Dr. Boolell se garde bien de suggérer un rapatriement sanitaire. Il y a une raison à cela : les déplacements exposent davantage aux risques de contamination. Mais, en face, il y a des parents qui vont, bien entendu, réagir émotivement; ce qui est bien plus délicat à gérer puisque le refus ici requiert du sang-froid et surtout le courage de ne point recourir à la facilité de la démagogie. Et c’est à ce niveau qu’il y a la tentation de la réaction partisane. A laquelle Nando Bodha ne résistera pas.
Ni le Dr. Jugatpal, ni le Dr. Boolell n’interviendront pour dire au ministre des Affaires Etrangères que récupérer le lot d’étudiants Mauriciens pour les mettre en quarantaine à Maurice n’est pas une option à considérer. Arvin Boolell interviendra avec un post sur sa page Facebook en fin d’après-midi pour dire qu’il s’est entretenu avec le ministre des Affaires Etrangères « and asked him to impress upon Our Embassy in Beijing to tender advice to the students », notamment qu’ils adhèrent au protocole établi par les autorités chinoises. Il est également vrai que la France et les Etats-Unis envisagent le rapatriement de leurs ressortissants et qu’il y avait des parents Mauriciens désireux de savoir si des pays-amis pouvaient muter leurs enfants vers une autre ville en vue d’un acheminement par voie aérienne, poursuivait-il. Les autorités chinoises n’y étaient pas favorables, notait-il, avouant même qu’une demande de l’Inde en ce sens n’avait pas reçu d’avis favorable. Mais, encore une fois, le Dr. Arvin Boolell se gardait d’émettre un avis défavorable à la décision de déplacer le contingent d’étudiants Mauriciens. Nando Bodha avait décidé de chevaucher le vulgaire canasson de la partisanerie politique ; Arvin Boolell sautait en croupe.
C’est sans doute parce que certains de ces principes de base demeurent encore du chinois pour nos compatriotes que nos élus-médecins ont essayé de nous jouer leur pièce à l’Assemblée nationale. Mais, il y a une Mauricienne qui a montré qu’elle connaît la musique assez pour faire la distinction entre le casse-tête chinois et la décérébration mauricienne. La musicologue Marie-Christinne Clarisse a, en effet, choisi de restreindre ses sorties et d’adhérer aux protocoles établis par les autorités chinoises qui, en outre, en cas d’infection, ont démontré leur aptitude à apporter les soins avec succès.
« L’objectif du gouvernement est de contourner la psychose potentielle », affirmait le ministre de la Santé à l’Assemblée. Eh bien, c’est raté ! Parce que pour cela, il aurait fallu que le ministre lui-même fasse preuve de caractère auprès, d’une part, des cadres de son ministère pour leur absence de rigueur envers Air Mauritius et, d’autre part, auprès de ses collègues du gouvernement pour exclure les options relevant de la facilité partisane. Il est évident, et compte tenu des exigences de l’heure, que le comité national pour gérer cette crise sanitaire aurait gagné déjà en crédibilité si des membres de l’opposition y avaient été inclus. Mais le personnel politique n’ayant pas encore la culture d’une gouvernance plus inclusive pour des priorités nationales, le Premier ministre Pravin Jugnauth reste confiné parmi ses semblables politiques, atteints de bipolarité partisane. Pour ces enragés, aucun vaccin à l’horizon ?
Joël TOUSSAINT
1 Né Mauricien, naturalisé français, Charles-Edouard Brown-Séquard a été médecin à Maurice, puis aux Etats-Unis, à la faculté du Collège médical de Virginie, puis retourne à Paris et à Londres en 1859, il pratique à nouveau aux Etats-Unis en 1859, au National Hospital for the Paralyzed and Epileptic, avant d’exercer comme professeur de physiologie et de neuropathologie à Harvard de 1864 à 1867. A partir de 1869, il est professeur à la Faculté de Médecine de Paris et en 1878 pratique à nouveau à New York avant un retour final en France où il succède à Claude Bernard au Collège de France en 1878. Nommé à la chaire de médecine expérimentale en 1878, il est élu membre de l’Académie des sciences en 1886. Quand il débarque à Maurice en compagnie de son épouse en 1854, une épidémie de choléra fait rage dans l’île. Immédiatement, Brown-Séquard aide à organiser les services d’urgences et à soigner les malades. L’épidémie est sévère – elle finira par faire plus de 8 000 victimes – et Brown Sequard veut trouver au plus vite un remède contre cette maladie. Il se place lui-même en quarantaine et ira jusqu’à se rendre malade en ingérant du vomi afin de tester l’efficacité de certains remèdes…