La ploutocratie va bien. Merci.

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Depuis que le Mauricien a été placé en confinement, quelques lettrés qui opinent sur Facebook ont repris une rengaine qui se résume à prétendre que plus rien ne sera comme avant. C’était quoi cet avant qui se serait transformé durant le confinement ? Nul ne se hasarde à le définir ; il semble de bon ton de seulement convenir de quelques vœux pieux sur les pratiques agricoles et de saupoudrer le discours politicien de quelques considérations environnementales et solidaires. Et puisqu’il suffit de si peu pour rassurer ceux qui en éprouvent le besoin maladif, on ne peut que prendre acte de cette paresse des esprits qu’aucune épidémie n’a jamais entamée. Au moins ceux dont on dit qu’ils sont sans éducation ne se donnent pas la peine de voiler l’ignorance qui les rend si aisément exploitables par ceux qui justifient leurs positions dominantes avec leurs diplômes universitaires… ou le pedigree de leurs ascendances.

Dans les faits, ce que les mesures dans le cadre du confinement ont pu mettre au grand jour, c’est cette couche de la population bien distincte par le niveau de sa misère économique, politique et juridique. A moins d’être un bigleux en matière de sociologie, comment ne pas s’interroger sur le fait que cette masse subisse docilement tout ce qui porte atteinte à la dignité humaine ? On s’autorise aujourd’hui la prose laudative de ceux qui font commerce de leur charité sur les réseaux sociaux et on s’interdit de questionner cette prétendue bienveillance qui expose le visage de ceux qui, parce qu’ils ont faim, sortent de chez eux pour prendre une portion de briani ou un sac de victuailles. Cette prétendue bienveillance porte le virus de l’avilissement de l’homme par l’homme en ceci qu’elle propose un échappatoire aux consciences coupables qui s’accommodent bien de la misère des autres tant que celle-ci n’est pas perçue comme la suite logique d’un système qui reproduit les inégalités en leur faveur.

Il faut être irrémédiablement contaminé par le fanatisme partisan pour s’interdire l’interrogation sur la soumission manifeste de la masse populaire bien qu’elle n’ait plus grand-chose à attendre de l’État. Quels sont donc ces mécanismes de répression symbolique, juridique et physique qui fait qu’elle subit tout sans révolte ? Les injonctions de cet État qui ne la défend plus, les suggestions de reprise d’activités d’un patronat qui s’en va négocier ses permis auprès d’un commissaire qui en délivre sans s’embarrasser des critères pourtant prescrits par le Conseil des ministres, et les approximations de son petit potentat : la masse populaire subit tout cela. C’est bien ce constat qui s’impose comme une revanche du réel sur l’irréel.

Non, il est faux de prétendre que nous apprenons des erreurs du passé. L’histoire autant que l’actualité nous démontrent le contraire. En 1832, lors de l’épidémie de choléra qui s’abattit sur Paris, Casimir Perrier, le Premier ministre et ministre de l’Intérieur ne voulut pas que Louis Philippe, le monarque, prenne des risques en allant visiter les malades. Il dut alors consentir à effectuer des visites à l’Hôtel-Dieu et au Val de Grâce avec le Duc d’Orléans et c’est ainsi que le Premier ministre, contaminé, passa à trépas. Or, près de deux siècles plus tard, au pays où Brown Sequard1 et plus tard Idrice Goomany2 se mirent en quarantaine avec les malades qu’ils allaient tenter de soigner, un ministre de la Santé promenait son Premier ministre au centre de quarantaine de Quatre-Soeurs !

Nous avons ainsi pu admirer l’ingénu faisant la conversation aux confinés, avec pour tout bouclier, la somme de ses propagandistes qui savent agiter l’applaudimètre qui lui procure sa dopamine. Le sort de ce pays repose ainsi sur ces décisionnaires et leurs influenceurs, tous rendus dangereux par la profondeur abyssale de leur inculture et leur addiction à la popularité. Le « fake news », ne serait-ce pas quand un ministre induit l’Assemblée en erreur en prétendant que le pays est prêt à affronter la crise sanitaire du corona virus ? Mais les propos du ministre bénéficient de l’immunité parlementaire… tant que l’Assemblée ne s’en estime pas outragée et que son Speaker s’en accommode.

Ainsi, la responsabilité de coordonner la réponse de notre service de Santé demeure confié à un individu qui aura sorti des balivernes à l’Assemblée nationale avec la même désinvolture qu’il aura paradé son Premier ministre dans un centre de quarantaine. Et aujourd’hui sans que personne ne se donne la peine d’expliquer les fondements méthodologiques qui pourraient attester de la réduction des personnes contaminées au point où l’on pourrait affirmer que la propagation du virus a été effectivement stoppée, le gouvernement focalise l’attention du public sur un processus de déconfinement graduel et par là-même rend implicite que son programme de confinement a été une réussite.

A Maurice, les plus faibles ignorent leurs droits et les dominants défendent leurs privilèges. C’est cela la ploutocratie.

Si l’on tient à considérer un changement véritable qui s’est opéré dans le monde sur un siècle, c’est que nous sommes désormais passés de la croyance religieuse à la crédulité politique ! C’est dans ce registre que le petit potentat trouvera soulagement à son narcissisme, en sachant que personne ne lui disputera une volonté de comparaison à Trump, Bolsonaro, Johnson ou Macron.

En politique, ce qui perd autant les individus qui s’y lancent que les générations qui les suivent, c’est l’orgueil. Cet orgueil, sur tous les plans et dans tous les domaines, a été la marque distinctive du demi-siècle de notre indépendance. Déjà Mark Twain, que l’on se plaît à citer à mauvais escient, étalait à la face des lettrés, ces fâcheuses prédispositions du Mauricien, contre lesquelles les nouvelles générations ne sont toujours pas inoculées. Le Mauricien est grand « casseur de paquet » au-delà les siècles et à chaque élection sur son caillou (qui a servi de modèle pour la création du Paradis!) il scande« Nou ki for ! Nou ki mari ! » tandis que ses élus, eux, scindent la population pour les rameuter dans leurs fiefs.

A force de prêter des attributs d’omnipotence à la caste des dirigeants politiques, le Mauricien en a fait des dieux et des monarques qui ne lui sont d’aucun service, asservis qu’ils sont à cette ploutocratie qui ne prospère qu’aux jeux de la bourse, des faveurs de la fiscalité et des corruptions mafieuses. A Maurice, les plus faibles ignorent leurs droits et les dominants défendent leurs privilèges. C’est cela la ploutocratie3.

Cette ploutocratie n’est pas qu’une vue de l’esprit. Elle est visible par ses influenceurs qui depuis ces deux dernières semaines investissent les colonnes des journaux pour peindre l’aube des reprises économiques dans la fin hâtée du confinement. Le monde de la finance ploutocratique a compris l’importance de la presse et, elle a su, par divers moyens, se saisir de cette presse à grand tirage, dite d’information. C’est l’argent qui commande la pensée de ceux qui aiguillent l’opinion publique. Nous avons ainsi une presse qui peut rendre compte de la faillite des institutions sans toutefois révéler que ce sont ses maîtres qui ont fait dérailler nos instances démocratiques.

La responsabilité relève d’une culture qui fait défaut au Mauricien, et par extension à ses élus qui, de quelque bord qu’ils se réclament, demeurent asservis à la ploutocratie.

Cette presse, qui se dit démocratique, est incapable de dénoncer ces médias ouvertement propagandistes qui développent et imposent le credo absurde et meurtrier à la gloire des monarques politiques et de leurs courtisans. C’est bien cette presse qui nous abreuve de tout le charabia qui tient lieu de discours politique dans ce pays. Et c’est à cela que l’on cultive l’aveuglement partisan des Mauriciens, au point où plus personne ne s’inquiète véritablement de nos impréparations à faire face aux calamités.

Pour les représenter à l’Assemblée, les Mauriciens se choisissent des représentants qui leur ressemblent. Aussi, il ne faudrait pas s’étonner qu’à chaque gabegie, tout le monde joue la surprise et chacun se renvoie la balle jusqu’à ce que, les torts étant bien partagés, l’on se résigne à ne désigner aucun responsable. C’est bien à ce jeu que l’on joue dans le cas de l’administration volontaire d’Air Mauritius comme dans celui des profits compromis de la SBM révélés par L’Express. Qu’ils apprécient ou pas de se l’entendre dire, la responsabilité relève d’une culture qui fait défaut au Mauricien, et par extension à ses élus qui, de quelque bord qu’ils se réclament, demeurent asservis à la ploutocratie.

Si tant est que nous aurions une intelligentsia, celle-ci aura beau gloser sur de prétendus changements post-Covid-19, elle n’aura rien appris des leçons du passé. Il nous faudra bien convenir de cette dure réalité, aussi triste et décevante qu’elle puisse être. Seule la ploutocratie demeure constante dans l’équation car, quels que soient les variables que ses quelques technocrates voudraient bien introduire dans ses business models, elle a toujours su fédérer ses aliénés de la croissance. Ainsi, partant de ses petits superviseurs à ses grands directeurs, tous joueront leur rôle au nom du marché, de la compétition et du chiffre, pour soumettre cette masse qui, à sa sortie du système éducatif, devient corvéable, adaptable et jetable.

Ainsi, de même que l’incurie politique, la légèreté médiatique se classe également dans la catégorie des fléaux qui affectent la vitalité de notre démocratie. Alors, plus rien ne sera comme avant ? Chez Indocile, nous nous singulariserons, peut-être pas plus mais encore une fois, pour affirmer que ce sera « Business as Usual ». Parce que nous pouvons bien nous rendre compte que les avidités du privé ne sont nullement entamées. Encore moins la gloutonnerie des nominés du pouvoir politique !

Ce n’est donc pas dans ce journal que nous vous dirons que les petits ne se feront plus bouffer par les plus grands de l’écosystème mauricien. Ce serait là un vrai « fake news » ! La vérité, aussi déplaisante qu’elle puisse être, c’est que pour n’avoir pu reconnaître les échecs d’aujourd’hui, les mêmes irresponsables refuseront d’admettre que ceux de demain sont déjà au stade embryonnaire.

Joël TOUSSAINT

1Brown Sequard se met en quarantaine avec ses malades durant l’épidémie de choléra qui fit 8 500 victimes entre mars et août 1854.

2Le Dr. Idrice Amir Goomany décède le 28 juillet 1889 au centre de quarantaine de Pointe aux Canonniers où il s’occupait des malades de la variole. Il était âgé de trente ans. Sa tombe a été érigé sur les lieux qui abrite désormais le Club Med.

3Le mot est attesté dès 1652 chez les Anglais pour qui il s’agit de «gouvernement ou domination des riches» et, plus tard en 1832, les penseurs politiques useront du terme au sens de «couche sociale détenant le pouvoir du fait de ses richesses».


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