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L’identité est une fiction. N’y peuvent rien les juges qui ont pour tâche de déterminer celles fixées dans les lois prescrites par nos législateurs. C’est bien par ces lois et règlements que ceux qui aspirent à la députation sont encore aujourd’hui tenus de se déclarer d’une catégorie quelconque, laissant dans la perception populaire l’illusion de communautés « raciales ». L’avidité du pouvoir exécutif est tel que le personnel politique s’accommode alors de la démagogie. Et, pour en tirer le meilleur profit électoral, ce personnel politique consent à se faire catégoriser selon des critères communautaristes. Ainsi, le parlementaire, celui que le langage courant désigne comme un « animal politique », accède à l’honorabilité lorsque, tout comme le chien dans un ‘pet-show’, il affiche son pedigree !
C’est à l’épreuve des faits, que la fiction cède le pas à la réalité. Car, comme partout où s’élèvent des réclamations identitaires, il importe d’engager les questionnements qui seuls permettent les distinctions entre les mythes, les bobards, la propagande anecdotique et la véracité historique. A Maurice en particulier, compte tenu du fait que notre société n’existe que depuis trois siècles seulement, ces réclamations identitaires empruntent encore les voies de l’usurpation, du révisionnisme historique, voire du négationnisme, surtout quand cela engage la responsabilité collective.
L’affirmation identitaire la plus authentique du Mauricien, d’autant qu’elle relève de la réaction inconsciente, est sans doute : « Pa mwa sa, li sa ». Cette revendication, on ne peut plus contradictoire et paradoxale, renvoie au stade de l’enfance incapable d’assumer ses bourdes… C’est peut-être en cela qu’elle est si indéniablement mauricienne !
Mais, des fois que l’on peinerait à comprendre de quoi il en retourne, il convient de s’engager dans ces exemples qui n’autorisent plus les faux-fuyants. Comme celui où en pénétrant à l’Appravasi Ghat, le lieu de l’exposition dédiée au fait de l’engagisme à Maurice, on remarque la plaque en verre qui est tout le premier tableau qui introduit cette thématique dans le contexte mauricien. Il nous présente les engagés qui arrivent à Maurice à bord de l’Atlas en 1834 comme les premiers engagés par l’administration britannique au titre de la Grande Expérience. Est-ce exact ? Certainement pas !
De l’engagement à l’engagisme
Pour le développement de son commerce avec l’Asie et l’exploitation de ses comptoirs indiens en particulier, la Compagnie des Indes étendra ce type de contrat au personnel qu’il veut maintenir sur les territoires qui lui servent de bases de transit, les « comptoirs ». Du coup on réalise que les premiers « engagés » sont ceux qui l’ont été par la Compagnie des Indes, dont une grosse partie de Français emberlificotée, comme autant les coolies un siècle après, par la perspective de pouvoir « faire fortune aux colonies ». Ceux-ci s’engageaient pour une période de huit ans, renouvelable sur des échéances écourtées.
Ils avaient beau être des premiers arrivés dans l’île, leur identité était complètement ignorée. Une identité niée, comme encore aujourd’hui quand on a la peau noire et les cheveux crépus.
Mais tous les Mauriciens applaudissent bien quand un dirigeant politique s’aventure à parler de décolonisation à la tribune de l‘ONU, processus politique qui, de toute évidence, n’a jamais été entrepris à Maurice ! Preuve s’il en faut qu’aucune escroquerie n’est possible sans l’apport des crédules.
Fiction encore, puisque les marches qui mènent au poste de quarantaine existaient bien sous la période française ainsi que l’hôpital. La taille des pierres a bien été entreprise par ceux désignés à l’époque sous le terme des « Noirs de la Marine ». Pas des Noirs venus d’Afrique, mais bien des Tamouls du sud de l’Inde. Formés dans des compagnonnages de métier, Mahé de Labourdonnais les avait engagés avec le statut de libres. Ce sont bien ceux-là qui ont transformé le « bassin des chaloupes » pour que l’on obtienne l’installation que l’on connaît encore aujourd’hui avec ses quais en pierre et les premiers entrepôts en face du port de pêche d’aujourd’hui.
Et c’est toujours cette fiction qui a oblitéré l’identité factuelle de ceux qui résidaient au « Quartier des Fanfarons ». Car, avec leur statut de libres, nos « Noirs de la Marine », dont certains furent arrêtés un soir et présentés au juge le lendemain, furent tout simplement relâchés dès la réception de leurs attestations fournies par le gouverneur. On comprend mieux alors l’origine de cette « fanfaronnade ».
Fiction identitaire toujours à cet Apravassi Ghat, même quand on considère l’arrivée de la main d’œuvre alternative à celle des esclaves. L’arrivée des premiers engagés dans cette perspective est pourtant bien documentée. Et il y a de bonnes raisons à cela. En effet, la première tentative fut avec des Malais en 1829. Ceux-ci, réalisant – au contact des Chinois déjà installés dans l’île – qu’ils coûtaient encore moins que les esclaves, finirent par incendier des champs et des usines. Comme cela nous change de la fiction des Chinois toujours accommodants…
Et, bien entendu, avec ces faits, la fiction selon laquelle les premiers engagés seraient arrivés à bord de l’Atlas en 1834 prend eau. Car, on l’aura compris, ces engagés-là, dont beaucoup en provenance de Calcutta, commencèrent à arriver cinq ans plus tôt, soit un an avant la date officielle de l’abolition de l’esclavage !
La fiction existe et perdure pour plusieurs raisons. D’abord, parce que les Chinois déjà installés n’avaient aucunement intérêt à s’associer un tant soit peu aux incidents qui s’étaient produits dans la colonie ; ils auraient été renvoyés illico par Farquhar qui a trainé des pieds pour l’importation de ‘coolies’ d’Asie. C’est que lui-même s’adonnait à la traite des Malgaches même si celle-ci avait été officiellement interdite !
C’était facile aussi parce qu’il n’y avait qu’un seul récit de l’abolition de l’esclavage ; celui du jeune Rémy Ollier ! Dans son journal, La Sentinelle, il est le seul à rendre compte de ce qui se passe réellement : tous les esclaves sont chassés des propriétés et c’est l’exode vers les villes d’abord et pour quelques familles vers les zones côtières… d’où on les chasse encore de nos jours !
Parce que les descendants d’esclaves n’ont jamais eu de titres de propriété et n’ont jamais songé qu’ils pouvaient faire valoir des droits d’occupation par prescription. A l’opposé, la Commission Justice et Vérité a bien démontré que d’autres, et non des moindres, n’ont éprouvé aucun embarras à user de titres usurpés pour exploiter les terres d’autrui. Et pourtant, il n’y en a pas un de ces politiciens qui se disent solidaires de Clency Harmon qui a songé à réclamer que l’on gèle tout projet de Safe City tant que le Judiciaire ne se serait pas prononcé sur les allégations de titres usurpés et d’occupation illégale !
Identité communautariste : bobards et cecité
Mais bien sûr que l’histoire de l’île Maurice est bourrée de ces récits où l’identité communautariste ne repose que sur des bobards. Quand chacun est pris dans les revendications de son groupe de référence, il en résulte la cécité qui rend tout un monde aveugle à ses propres contradictions. Ainsi, chaque groupe ethniquement marqué a donné dans l’usurpation.
Si les descendants des colons Français ne sont pas reconnus comme les premiers de nos engagés, c’est parce qu’ils pensaient obtenir la légitimité de leur position sociale dans les noms à particules attestant, pour la plupart, d’une noblesse fictive.
De même ces registres de ‘coolies’ soustraits à l’étude publique qui pourraient déranger bien des familles qui ont profité des ignorances de l’administration coloniale pour se hisser de quelques échelons dans la hiérarchie sociale. Idem pour ces nombreux Bihari qui, en embrassant l’islam ou le catholicisme, se sont affranchis de leur statut de Dhalits.
Il y a un narratif, une fiction fédératrice qui émerge du kala pani ; cette traversée initiale des mers qui est la phase initiatique qui fonde le jahaji bhai, la fraternité de ceux qui ont vogué sur le même bateau.
Mais, qu’à cela ne tienne, les plus jeunes Mauriciens peuvent bien accéder à la mémoire que leurs parents ont trop facilement abandonné à de piètres censeurs. Ceux-là s’estimant être en droit de cacher les éléments fondateurs de la fiction identitaire des ‘coolies’ du regard public, ont tout loisir de promouvoir leur propagande communautariste. Pour reconstituer les récits transmis par voie orale, le monde de la recherche parvient à se passer de ceux qui ont ce type de rapports imbéciles au savoir.
Ce qu’il faut savoir, c’est que plus personne dans ce pays ne peut se réclamer de l’identité initiale à laquelle ses ancêtres auraient pu se référer. C’est impossible. Et ce n’est pas plus mal. Il y a un narratif, une fiction fédératrice qui émerge du kala pani ; cette traversée initiale des mers qui est la phase initiatique qui fonde le jahaji bhai, la fraternité de ceux qui ont vogué sur le même bateau. Pour le noir, toujours esclave du regard social compte tenu du pigment de sa peau, comme pour le blanc désormais enchainé à la mémoire de l’esclavage, c’est aussi cette histoire-là qui instaure notre communauté de destin.
Ashok Subron, le responsable de Rezistans ek Alternativ, ne décolère pas face à Pravind Jugnauth et, avec celui-là tous ceux qu’il désigne comme des « politiciens arriérés ». Il a tort ! Ils sont pires !
A la lecture de tout ce qui précède, on peut comprendre que ce n’est pas le terme qui convient. En réalité, n’ayons pas peur de le dire : notre personnel politique pullule de négationnistes! Soit ils s’ignorent ou ils pensent qu’ils seront toujours ignorés !
La mystification du personnel politique était relativement aisé jusqu’à ce temps récent où les éditorialistes étaient pour la plupart des cuistres ethno-centrés professant, comme autant de valeurs, les traits de la bourgeoisie créole. Mais, à l’examen dépassionné de ces revendications identitaires, on constate que la fiction qui sous-tend ces formidables stratégies de mobilité sociale est tue. Et c’est bien dommage.
Dommage que l’homo mauricianus soit un obsédé de l’image idéalisé du genre humain, un narcissique impénitent qui s’en va errer souvent dans la géhenne du pur-sang fantasmé. Dommage que peu comprennent que les tarés prolifèrent sans l’apport de sang neuf. Dommage, quand bien même que nous en soyons réduits à convenir que l’identité factuelle de l’homo mauricianus pourrait bien être celle de la progéniture du faussaire et de la mythomane !
Encore heureux qu’il y ait des artistes dans ce pays… Ce sont les seuls à pouvoir quelquefois résumer des concepts que l’homme politique peine à cerner tant il a bu aux mamelles du conservatisme. Il faut, en effet, beaucoup de poésie pour faire surgir cette fiction capable de suggérer une identité où nous serions… les enfants d’un rêve !