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D’Helena Stepanovitch à Mike Sophie, la Mauritius Commercial Bank (MCB) aura amorcé un tournant en matière de gestion des ressources humaines dont le résultat est devenu alarmant. En effet, entre novembre 2017 et janvier 2019, sur un effectif de 3 200 employés, la MCB compterait environ 3% du personnel en moins. Même si certains observateurs considèrent que cette banque est en sureffectif, tous s’accordent à reconnaître que « ce n’est pas insignifiant » ou que « c’est considérable ». La MCB avait pourtant consenti à un nouveau programme qui était censé renforcer davantage ses capacités au plan de son personnel. La direction a choisi de ne pas répondre à notre longue série de questions, estimant qu’il s’agissait là de ses « affaires internes » et d’ « allégations malveillantes ».
Aucun directeur disponible pour signer les chèques et autres documents importants sur deux jeudis de suite : les employés de la banque ont commencé à s’interroger. Après la saignée au département des ressources humaines, le moral n’est pas vraiment au beau fixe à la MCB, où ils sont nombreux à se demander quel est le prochain département qui va faire l’expérience d’une purge. Quelques cadres seulement, dont nos sources en l’occurrence, savent que nous avons entamé une enquête sur la banque, mais personne ne sait où nous en sommes rendus et encore moins si nous avons effectivement interrogé Pierre-Guy Noël et Alain Law Min au sujet d’un certain nombre de faits. Mais, nous savons que depuis notre questionnement à la direction de la MCB, les réunions dans certains départements ont pris des tournures qui surprennent plus d’un et alimentent les bruits de couloir : il est question de la prise de parole « plus affirmative » du CEO Alain Law Min, du « ton mielleux » de Raoul Gufflet, son adjoint, de la « présence effacée » de Mike Sophie, le DRH…
Des contrats non-renouvelés aux licenciements, en passant par les départs volontaires : les raisons de cette réduction des effectifs sont multiples. Dans certains cas, les départs sont pour des postes équivalents ailleurs ; avec le prestige de l’entreprise en moins, mais la satisfaction personnelle en plus.
Avec environ 11% de pertes, c’est au sein du département des ressources humaines que la saignée paraît la plus importante. Et pourtant, dans la presse généraliste comme dans les magazines dédiés au business, il n’est que question des profits de Rs. 4,3 milliards pour le dernier semestre que l’institution bancaire affichait récemment. Cependant, au-delà de la propagande injectée dans une presse qui lui est devenue complaisante, la MCB vit en ce moment une transformation où le personnel peine à concilier la performance de l’entreprise et les valeurs qu’elle revendique.
Ressources humaines : la professionnalisation
La MCB rentrait dans le millénaire en professionnalisant son département des ressources humaines. La plus grosse institution bancaire recrutait, en effet, Helena Stepanovitch, une professionnelle de la gestion des ressources humaines pour armer ses structures avec les meilleures compétences. La MCB s’embarquait vers de nouveaux objectifs et il s’agissait, d’une part, d’identifier et de recruter les compétences qui faisaient défaut à la banque et, d’autre part, de développer des programmes de formation et de promotion afin de retenir les compétences acquises au prix fort.
Cette orientation stratégique fut à ce point concluant que la MCB opta pour la renforcer. Il s’agissait cette fois de trouver un autre professionnel des ressources humaines avec un profil particulier: une expérience éprouvée dans le secteur bancaire. C’est ainsi que le choix se porta sur Marc Desmarais, qui exerçait au siège de la HSBC à Hong Kong !
On aurait tort de seulement considérer que la MCB avait eu « la main heureuse ». Pour trouver l’oiseau rare il avait bien fallu définir le poste avec précision et initier un « profiling » qui allait mener à l’identification de ce Mauricien providentiel. Nous ne sommes pas ici dans la logique du cousin ou de la fille d’un directeur qu’il faudrait caser quelque part ; (pas que la MCB soit exempte de cette culture, que l’on retrouve aussi bien dans les structures du privé que dans ceux où les capitaux de l’Etat sont engagés). Là, toutefois, c’était la méthode Stepanovitch à l’œuvre : la MCB allait se donner les meilleures chances pour engager les meilleurs professionnels.
C’est cette même logique qui favorisera l’inclusion de certains étrangers comme l’Anglais Anthony Withers (un Numéro Un qui ne fera pas long feu) ou encore le Français Raoul Gufflet (désormais naturalisé Mauricien), engagé en 2004 et devenu maintenant l’adjoint du DG, Alain Law Min.
C’est justement le tandem Law Min-Gufflet qui va initier le dernier programme en date. Il est question de « HR Re-alignment » et pour cela ils font appel à un cabinet américain, le groupe RBL. C’est la boite de consulting de Dave Ulrich, vénéré comme un gourou du HR. Il s’agit d’un groupe qui se spécialise dans le consulting de la gestion stratégique des ressources humaines et qui dirige ses actions sur la transformation du leadership existant.
En faisant appel à RBL, on peut considérer que la MCB s’apprête à un nouveau palier de sa politique de gestion des ressources humaines. En effet, de Stepanovitch à Eddy Jolicoeur, en passant par Marc Desmarais, on peut distinguer une approche constante du HR dont on peut dire qu’elle est devenue une culture du management des Ressources Humaines propre à la MCB : une culture qui se distingue comme une démarche triangulaire où l’on retrouve : 1. L’acquisition des talents, 2. Le développement des compétences et, 3. La rétention des meilleurs.
Mais, emporté par son élan et convaincu par sa propre propagande d’être toujours « The Best », la MCB se concentre peu, ou plus du tout, sur ses dysfonctionnements. Et pourtant il y a des signaux auxquels il aurait fallu accorder davantage d’importance : par exemple, le suicide d’Alain Chamary, l’ancien patron de la Finlease, en septembre 2017. La communication de l’entreprise à ce sujet a laissé un malaise que ses collègues peinent encore à définir. Tous s’accordent à reconnaître son leadership exceptionnel et qu’il était loin d’avoir la conduite d’un « Loser ». Au contraire, il était dans l’attente de nouveaux challenges…
Nouvelle culture des RH : « A revenue-enhancing tool »
Mais la machine est déjà emballée. Justin Allen, le patron des opérations chez RBL, démarre les manœuvres dès octobre 2017. La MCB s’engage alors dans une démarche qui n’a pas l’air de se conformer à sa culture mais correspond plutôt à la conception américaine de la gestion des ressources humaines : dans ce pays où les travailleurs ne disposent que de quelques droits élémentaires, l’élément humain sert essentiellement les objectifs de profitabilité de l’entreprise. D’ailleurs les consultants américains affichent clairement leur offre sur leur site web : « HR vision and focusing HR practice so they become (…) a revenue-enhancing tool that improves the bottom line ». Law Min et Gufflet ne peuvent invoquer de tromperie sur la marchandise.
Du « HR Re-alignment » dont il était question, la MCB semble plutôt avoir entamé une trajectoire en faux-parallèle. Déjà Eddy Jolicoeur n’était pas partie prenante de l’exercice puisqu’il nous confirme avoir signifié son départ à Pierre-Guy Noël. Il aura principalement contribué au recueil de données, nous dit-il, et c’est dans le même temps qu’il reçoit la proposition de diriger le Mauritius Institute of Independent Directors.
Mais il y a du mouvement sur d’autres fronts… L’année tire vite à sa fin ; les employés se retrouvent pour faire la fête au château Labourdonnais et attendent le discours d’Anthony Withers. Attente vaine : le CEO s’est fait virer quelques heures plus tôt !
Selon notre enquête, le courant ne passait plus entre Pierre-Guy Noël et le Britannique car celui-ci avait poussé le mépris jusqu’à informer son patron au plus strict minimum. Cette fois, le conseil de direction avait appris qu’il s’apprêtait à quitter le pays pour des vacances sans avertir quiconque au préalable. Comme il l’aurait fait précédemment, se contentant d’un mail envoyé depuis l’aéroport. Le jargon local résume parfaitement ce qu’il advint du CEO indélicat: ce fut « enn sel alé » !
Des « allégations malveillantes », estime Pierre-Guy Noël lorsque nous lui exposons les éléments qui nous ont été fournis par nos sources, en l’occurrence des employés de la banque qu’il dirige. C’est vrai qu’à l’ère de Trump et de Hureeram, nombreux sont ceux qui, exposés à l’argumentaire des « fake news », sombrent dans des dérives complotistes et des réactions paranoïaques. Mais il y a quand même un certain nombre de faits objectifs qui devraient rassurer le PDG de la banque quant à la bonne santé mentale et les bonnes dispositions de son personnel.
« Pour qu’il y ait un « Re-alignment », il faut encore qu’il y ait des procédures. Il n’y en a pas », nous dit une source du département des Ressources Humaines. Cela fait sens ; il aurait fallu en élaborer pour établir les objectifs convenus. Mais, Mike Sophie n’est nommé DRH qu’à partir du 1er mai 2018. En outre, s’il est certainement quelqu’un qui a mené des équipes, il n’est pas pour autant un professionnel des Ressources Humaines.
Communication en panne
S’il fallait un indicateur du changement de culture et de politique HR, c’est la direction elle-même qui le fournit ainsi avec la nomination de Sophie. Qu’il y en ait qui extrapolent ensuite quant à une proximité entre le nouveau DRH et Raoul Gufflet, cela n’est pas tout à fait farfelu : Gufflet était le patron de l’International (avec les subsidiaires au Mozambique, Madagascar et aux Seychelles) et Sophie se retrouvait sous sa tutelle jusqu’à ce qu’il demande de rentrer au pays. D’autres pourraient tout aussi bien extrapoler à partir du fait que c’est Alain Law Min qui en a fait le Head of Retail avec la responsabilité d’animer les équipes des succursales de cinq régions : Port-Louis, Grand-Baie, Curepipe, Flacq et Rose-Hill.
Si nous ne nous attardons pas sur ces perceptions des employés de la MCB, il n’en demeure pas moins que la question des procédures relatives à l’implantation du fameux programme de « HR Re-alignment » demeure. Mais comment peut-on élaborer de telles procédures quand le département des ressources humaines a sa continuité compromise ? Depuis que Mike Sophie en assure la direction, ce département s’est séparé de Katelin L., Sandrine S., Marisa B., Doriane R., Chrystelle B., Anaelle U., et Richard A. Parmi ceux-là, les deux proches collaborateurs d’Eddy Jolicoeur.
Les arrivées, les départs ou les nominations faisaient l’objet d’une communication par le biais de l’intranet. Avec Mike Sophie, l’intranet s’est tu au moment même où l’entreprise bancaire se séparait d’un important contingent en seulement une année. Le départ de Didier M., personnalité très en vue du secteur financier au plan local comme à l’international, a laissé plus d’un pantois. « Nous n’avons eu aucune explication. C’est comme si on avait fait partir un malpropre », nous confie un de ses ex-collègues. L’homme exerce toujours dans le secteur pour le compte d’une grosse structure internationale et ce n’est que tout récemment que ses mérites étaient enfin évoqués. Le départ de Richard A. est qualifié de « moment traumatisant ». « C’est à peine s’il a eu le temps de saluer ses collègues. Il a remis sa carte d’accès électronique, il a été accompagné jusqu’à la porte et c’était fini. Il y avait des collègues en larmes, c’était affreux ; personne ne savait quoi dire. Il n’y a jamais eu la moindre explication ».
Quand la saignée provient du département qui est chargée du bien-être des employés, on n’a pas besoin de faire de grandes écoles pour imaginer l’angoisse qui s’étend au reste de l’organisation. Nous prenons bien la peine d’aborder cette question avec Pierre-Guy Noël et Alain Law Min. Soit Pierre-Guy Noël ne se relit pas ou alors il nous répond tel un pince-sans-rire. En effet, après avoir suggéré des « allégations malveillantes », il ajoutait : « Si vos sources, quelles qu’elles soient, désirent solliciter une rencontre avec les membres de notre direction susceptibles de les éclairer ils sont tout à fait libres de le faire et c’est avec plaisir que nous les recevrons ». Les intéressés apprécieront, ceux qui y sont toujours comme ceux qui n’appartiennent plus à l’organisation.
Au-delà des angoisses, qu’il y ait des extrapolations qui prolifèrent indique bien que la direction est en panne de communication en interne également. Et comme pour bien comprendre que c’en est devenu comme une règle, s’il y en a un pour faire l’exception, c’est Raoul Gufflet. Lui, il communique, cela ne fait aucun doute. Et les incidents se multiplient. Au fil des récits, on comprend qu’avec lui la communication c’est : rude toujours, brutal souvent, abusif quelquefois.
Le comportement excessif du directeur général adjoint de la MCB suscite désormais des résistances. Son ton, depuis peu tout de miel, pourrait être bien insuffisant pour endiguer, au-dedans comme au-dehors, la croissance qu’il aura suscité chez ses collègues… de leur niveau de fiel !
Joël TOUSSAINT