Souveraineté territoriale : Légiférer contre tout avis contraire

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Fausses informations : Le gouvernement mauricien aurait-il induit en erreur l’Union Africaine et l’ONU ?

La position de Maurice sur les îles peuplées compromise avec de nouveaux apports documentaires.

Anthony Greenwood, le Secrétaire d’Etat aux Colonies
Quelques-uns des dossiers secrets du secrétariat dans le cadre de la conférence constitutionnelle.

Le conseil des ministres entend proposer un amendement au Code Pénal en vue de sanctionner toute remise en cause des éléments de sa souveraineté territoriale. Fort de l’arrêt de la Cour International de Justice (CIJ) de La Haye validant la réclamation de la reconnaissance de la souveraineté de l’Etat mauricien sur l’archipel des Chagos, le gouvernement de Pravind Jugnauth ne devrait normalement entretenir aucune crainte des avis contraires qui pourraient être évoqués. A moins qu’il ne soit bien conscient que des éléments pourraient surgir et démontrer que le gouvernement mauricien a induit la CIJ en erreur…

Le but de l’amendement au Code Pénal, en l’occurrence « The Criminal Code (Amendment) Bill (No. VIII of 2020) », est de « criminaliser », selon les termes même du mémorandum explicatif, « la production ou la distribution d’un article, d’un objet ou d’un document transmettant des informations trompeuses sur la souveraineté de Maurice sur n’importe quelle partie de son territoire ». Y aurait-il des informations que ce gouvernement ne saurait réfuter et faire la démonstration de leurs caractères trompeuses ? Le fait est que les ministres de Pravind Jugnauth préfèrent plutôt recourir aux lois pour interdire tout élément documenté sur la question. Il convient d’ajouter aussitôt que l’on peut répondre positivement à cette question et affirmer qu’il y a des éléments documentés qui sont de nature à remettre en question le narratif de nos divers gouvernements sur la question de la souveraineté reconnue ou revendiquée de l’État mauricien sur les différentes îles.

Il convient, en effet, d’utiliser le terme « narratif » en ce qu’il s’agit de la version mauricienne produite à la CIJ à La Haye. Le gouvernement mauricien y aura eu la partie facile puisque la partie britannique s’est bien gardé de produire toute la documentation relative à cette affaire de souveraineté sur les Chagos. Et pour cause ! Rien que la partie à laquelle nous avons eu accès, en l’occurrence les notes du secrétariat d’Anthony Greenwood1, constituent la trame d’une conspiration entre les représentants mauriciens et britanniques pour ignorer les conditions prescrites par les Nations Unies quant aux modalités de l’accession à l’indépendance des États coloniaux.

Les documents auxquels nous faisons référence anéantissent la thèse que l’archipel des Chagos ait été cédé par la partie mauricienne sous la seule pression du Colonial Office. En effet, ces documents indiquent que Seewoosagur Ramgoolam, le chef du gouvernement à l’époque, est parvenu à imposer sa formule aux Anglais pour la composition de la délégation mauricienne à la conférence constitutionnelle. Mieux encore : il s’est même permis de bloquer les négociations et nous savons aujourd’hui que le processus est sorti du deadlock grâce à un acteur tout à fait inattendu : Gaëtan Duval !

Connivence pour ignorer la Résolution 1514 de l’ONU

Avec l’effritement de la thèse de la pression du pouvoir colonial, on voit plus clairement surgir le décor de la connivence entre les représentants du Colonial Office et les représentants mauriciens. C’est cette connivence qui a conduit, dans ce même processus, à l’excision, d’une part, de l’archipel des Chagos et, d’autre part, le refus de tenir compte du vote des Rodriguais au motif qu’il n’était pas question de procéder au démantèlement du territoire mauricien2 !

Il faut faire ressortir que les Agaléens ne furent absolument pas considérés pour les élections de 1967. Il s’agissait d’un facteur qui aurait du techniquement invalider la légitimité du gouvernement qui en fut issu. C’est impossible que les représentants Mauriciens puissent feindre l’ignorance ou invoquer la pression du Colonial Office à ce sujet. Il faut savoir que la délégation mauricienne n’était pas seulement composé d’élus à l’assemblée législative, mais aussi de légistes qui devaient agir en qualité de conseillers des représentants politiques mauriciens. Or, la légitimité du gouvernement issu des élections précédentes (1959) avaient été contestée au motif que la population rodriguaise n’avait pas été consultée et il avait fallu un ordre en conseil pour que l’administration sauve le despote qu’il s’était trouvé en la personne de Seewoosagur Ramgoolam.

Ces faits reposent, en fin de compte, sur une seule et même réalité pour l’ensemble des îles habitées qui se trouvaient sous la tutelle du gouvernement mauricien au moment du processus menant à l’indépendance. La réalité est que la partie britannique, ainsi que la partie mauricienne, ont convenu de prendre possession des territoires îliens occupés sans se conformer aux conditions prescrites dans le cadre de la Résolution 1514 des Nations Unies. L’article 23 de cette résolution prescrit l’auto-détermination des peuples.

L’article 54 de cette résolution va plus loin et préconise « des mesures immédiates » afin de « transférer tous pouvoirs aux peuples de ces territoires, sans aucune condition ni réserve ». Or, les débats au Parlement britannique attestent du fait que la décision de confier la poursuite de la tutelle coloniale sur Rodrigues et Agaléga avait été prise avant même les élections législatives de 1967 à Maurice. Mais plus important encore, les peuples des îles – Maurice incluse – n’ont pas été consultés pour qu’ils se prononcent spécifiquement sur leur vœu d’indépendance. Les Anglais ont de tout temps refusé l’option d’un référendum, (ainsi que le souhaitait le Parti Mauricien de Jules Koënig), et sont restés fermes et formels sur cette question.

On imagine bien que ces éléments jusqu’ici méconnus ont fait la part belle à ce narratif mauricien et la propagande qui a fédéré les souverainistes Mauriciens aucunement embarrassés par leur domination usurpée sur les territoires d’autres peuples. Nous reproduisons ici l’extrait d’un rapport de la Commission des Droits de l’Homme des Nations Unies qui reprend les propos tenus alors par Me. Pertaub, qui assurait la représentation de l’État mauricien en 20045 : « Il n’y a pas de peuple autochtone vivant dans l’archipel des Chagos : tous ses habitants proviennent originellement de l’île principale de Maurice ».

Contestation de l’autochtonie du peuple Chagossien par Me. Pertaub devant la sous-commission des Nations-Unies pour la promotion et la protection des Droits de l’Homme qui examinait la requête pour la réinstallation des Chagossiens sur leur territoire.

L’affirmation de Me. Pertaub est erronée. La preuve avait déjà été fournie par Me. Hervé Lassémillante, (récemment décédé), lors de la présentation du dossier au nom de M. Fernand Mandarin, (du Comité Social Chagossien), qui obtint que les Chagossiens soient reconnus comme peuple autochtone par les Nations Unies. L’un des arguments majeurs de Me. Lassémillante était que certaines des îles servaient de dépôts pour la traite négrière. Ainsi, le dénommé Auxille de Majastre6, armateur engagé dans la traite d’esclaves et fournissant légalement les colonies de Bourbon et de l’Ile de France en main d’œuvre servile. Il avait obtenu, à cette fin, des concessions dans les îles, notamment aux Chagos, à Saint-Brandon et à Agaléga où il déchargeait des parties de sa cargaison afin de mélanger les individus et casser ainsi la cohésion des groupes. Au-delà, Me. Lassémillante avait aussi produit dans le dossier des photos de tombes sur Peros Banhos datant de la période française.

Les plus avertis auront tout de suite noté que cette version du gouvernement mauricien était celle initialement soutenue pendant longtemps par la Grande Bretagne ! Elle n’est pas étonnante pour ceux qui auront étudié l’évolution de la politique de la Outer Islands Development Corporation (OIDC), cet organisme gouvernemental dédié à la gestion des îles sous la tutelle juridique et administrative de la métropole mauricienne. Il est connu que l’administration mauricienne, sous divers gouvernements, a procédé au déplacement et à la séparation des familles agaléennes et, encore aujourd’hui, des parturientes résidant à Agaléga sont contraintes d’accoucher à l’île Maurice, compromettant ainsi l’attestation administrative du droit du sol. Il s’agit là d’une pratique similaire à celle qui se produisait dans l’administration des îles chagossiennes avant l’éviction de la population. L’administration mauricienne, en bonne héritière des pratiques coloniales, n’a pas eu à faire d’efforts pour les reproduire envers la population d’Agaléga !

Instauration de l’imprimatur

Effectivement, comme l’affirmait Paul Bérenger, le leader du MMM en conférence de presse hier, cet amendement est attentatoire à la liberté d’expression. Quoi qu’en dise Maneesh Gobin, le ministre de la Justice, l’amendement au Code Pénal est en contradiction flagrante avec l’article 12 de la Constitution7 dont l’alinéa 1 explicite la nature de cette liberté, en l’occurrence celle de pouvoir « recevoir et de diffuser des informations » et précise que le citoyen doit pouvoir jouir de ce droit « sans interférence ».

Or, l’offense sous cette loi est commise « à moins que son auteur n’établisse qu’il a agi avec l’approbation expresse du gouvernement de Maurice ». Ce qui, en clair, signifie que le gouvernement mauricien exige d’imposer son imprimatur à toute publication ou échange documentaire ayant trait à la question de souveraineté territoriale impliquant l’État mauricien. (Voir notre article sur la portée historique, ainsi que les implications socio-politiques, de cette disposition).

Certes, il y a eu des observations critiques dans la presse (Subash Gobine dans L’Express, Ashley Victor pour Radio One, Anil Gayan dans Le Mauricien), eu égard surtout à ce qu’ils considèrent comme le caractère ridicule et farfelue de cette mesure. Elle serait éventuellement inopérante en ce qu’il s’agit de l’article 3 de ce projet de loi. Cette disposition particulière vise à pouvoir sanctionner l’auteur de l’acte incriminé dans le cas où le délit aurait été commis hors de la juridiction mauricienne. Ces commentateurs raillent le gouvernement en faisant valoir qu’il serait ridicule de vouloir effrayer Boris Johnson, le premier ministre britannique, par exemple, avec une telle disposition. Car, il est normal, de par ses fonctions notamment, qu’il fasse part de vues opposées à celle du gouvernement mauricien.

Le gouvernement mauricien entend-il criminaliser les communications sur la recherche académique? André Oraison, professeur en droit international public, entend publier une tribune publique au sujet de Tromelin, territoire revendiqué par Maurice.

Cette disposition, toutefois, n’est pas aussi risible qu’il y paraît. En effet, il interfère directement avec le travail de tous ceux qui exercent au plan de la recherche académique et de l’investigation journalistique. Nous pouvons prendre pour l’exemple, André Oraison, professeur de droit international public basé à La Réunion et observateur très critique de la politique du gouvernement français dans la région indianocéanique. Il fait bien référence à la disposition des dirigeants politiques de Madagascar en 1978, (comme l’indiquait aussi Bérenger lors de sa conférence de presse), pour que Maurice revendique des droits de souveraineté sur cette île – il questionne le justificatif d’une telle orientation en faveur de Maurice. Mais, il entend cette fois, par le biais d’une tribune libre, décortiquer la position ambiguë des dirigeants malgaches sur l’île Tromelin. Ce faisant, l’éminent juriste tomberait sous le coup de la loi mauricienne et, s’il s’aventurait sur le sol mauricien, pourrait être arrêté afin de répondre de son acte.

Les universitaires travaillant sur les questions relatives à Rodrigues, Agaléga et Rodrigues s’en trouvent ainsi concernés. De même, ceux qui sont engagés dans des démarches indépendantistes pour les peuples des îles. Dans cette perspective, notre travail de recherche sur le sujet est potentiellement dommageable pour ce gouvernement (et même les autres), en ce sens qu’il viendrait questionner la véracité de ce que l’État mauricien a pu avancer jusqu’ici face aux instances internationales. Elle est susceptible de démontrer que l’État mauricien aurait éventuellement induit en erreur le CIJ, et par extension, les dirigeants de l’Union Africaine qui auront apporté un soutien massif et décisif pour passer le cap du feu-vert onusien en vue d’obtenir l’avis du CIJ.

On devine déjà aisément l’enthousiasme du gouvernement de Pravind Jugnauth à donner son feu-vert pour la publication de toute documentation qui tendrait à exposer un acte infâme de l’administration coloniale mauricienne. Car, c’est bien de politique coloniale dont il s’agit. Et, les conséquences, aux dires mêmes du gouvernement mauricien, auraient contribué à ce qu’il qualifie de « crime contre l’humanité ». L’ONU pourrait même considérer qu’il s’agit de génocide.

Joël TOUSSAINT

1Arthur William James Anthony Greenwood, (14 September 1911 – 12 April 1982), membre en vue du parti travailliste britannique dans les années 50 et 60, était secrétaire d’État aux Colonies. Il présida, à ce titre, les deux volets de la conférence constitutionnelle instituant les conditions de l’accession de Maurice au statut d’État indépendant. Il fut fait Baron Greenwood de Rossendale – sa circonscription – en 1970.

2Le gouvernement britannique apposa une fin de non-recevoir à la tentative de représentation faite par Me. Guy Ollivry qui essaya de faire valoir que Rodrigues était en droit de déterminer son propre statut politique eu égard au fait que la population de l’île s’était prononcée à une quasi-unanimité (97%) en faveur de ses candidats opposés au projet d’indépendance.

32. Tous les peuples ont le droit à la libre détermination ; en vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et poursuivent librement leur développement économique, social et culturel.

45. Des mesures immédiates seront prises, dans les territoires sous tutelle, les territoires non autonomes et tous autres territoires qui n’ont pas encore accédé à l’indépendance, pour transférer tous pouvoirs aux peuples de ces territoires, sans aucune condition ni réserve, conformément à leur volonté et à leurs vœux librement exprimés, sans aucune distinction de race, de croyance ou de couleur, afin de leur permettre de jouir d’une indépendance et d’une liberté complètes.

5Rapport sommaire de 8e réunion de la Sous-commission des Nations Unies sur la promotion et la protection des Droits de l’Homme, Palais des Nations (Genève), Lundi 2 août 2004 à 15:00.

6Auxille de Majastre (1808 – 1849) prenait des esclaves non seulement de Madagascar et du Mozambique, mais aussi des côtes de Malabar et de Pondichéry. On comprend mieux ainsi pourquoi on trouve autant de noms tamouls parmi les Noirs des Chagos et d’Agaléga.

712 Protection of freedom of expression

(1) Except with his own consent, no person shall be hindered in the enjoyment of his freedom of expression, that is to say, freedom to hold opinions and to receive and impart ideas and information without interference, and freedom from interference with his correspondence.


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