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Il voyait trop grand pour l’île Maurice
George Fernandes, ancien ministre de la Défense au sein du gouvernement d’Atal Bihari Vajpayee, est décédé ce mardi 29 janvier, à l’âge de 88 ans. Malade et alité au cours des dernières années, George Fernandes souffrait de la maladie d’Alzheimer. Les funérailles auront lieu au retour en Inde de son fils, qui vit à New York. Parcours fascinant d’un visionnaire et partisan d’une action politique en faveur des plus pauvres et qui comptait sûrement un peu trop sur Maurice.
Fernandes est né à Mangalore dans le Karnataka en 1930. Il fut élu à Muzaffarpur dans l’Etat du Bihar en 1977 et fut nommé ministre de l’Industrie de l’Inde. Un poste où son rôle n’était certainement pas effacé. En effet, c’est durant ce mandat qu’il ordonna aux multinationales américaines IBM et Coca-Cola de quitter le pays !
Après avoir rejoint le Janata Dal, Fernandes a servi comme ministre du Transport ferroviaire dans le gouvernement V P Singh de 1989 à 1990. Après la désintégration du Janata, Fernandes a fondé le parti Samata. En 1994, il a joué un rôle déterminant dans la mise en place du projet Konkan Railway, reliant Mangalore et Bombay.
Seul ministre chrétien dans le cabinet du Premier Ministre Atal Bihari Vajpayee, sa carrière politique s’achève en capacité de député de Rajya Sabha en juillet 2010 : il y siégeait depuis août 2009.
Le premier ministre Narendra Modi lui a rendu hommage sur Twitter ce matin : «Franc et courageux, direct et clairvoyant, il a apporté une précieuse contribution à notre pays. Il a été parmi les voix les plus efficaces pour les droits des pauvres et des marginalisées».
Le Président du Congrès, Rahul Gandhi, a pour sa part présenté ses condoléances dans un post Facebook : « Je suis désolé d’apprendre la disparition de l’ancien parlementaire et ministre de l’Union, George Fernandes-ji. Mes condoléances à sa famille et ses amis en ce temps de chagrin », déclare-t-il.
Le syndicaliste contraint à la clandestinité
Pour Modi, « Quand nous pensons à Fernandes, nous nous rappelons plus particulièrement le dirigeant syndical ardent qui a combattu pour la justice, le dirigeant qui pouvait, dans une campagne électorale, imposer de l’humilité même au plus puissant des politiciens ».
C’est sans doute ainsi que les Indiens se souviendront de George Fernandes. Originaire de Mangalore et de la deuxième génération d’une famille convertie, Fernandes fut envoyé au séminaire à Bangalore en 1946 pour devenir prêtre catholique. Pas du tout satisfait du traitement inégal dont il fut témoin au séminaire, il déménage à Bombay en 1949 et, après une période en tant que SDF, il rejoint le mouvement syndical socialiste.
Au début des années 1950, Fernandes apparaît comme une figure clé du mouvement syndical de Bombay. Il y organise de nombreuses grèves dans les années 1950 et 1960 et c’est, bien-sûr, lui qui écope des peines de prison lorsque ses manifestants s’engagent dans des combats contre les hommes de main des entreprises.
Puis survient la grève la plus notable : la grève des chemins de fer de 1974. Il est alors président de la puissante Fédération nationale des cheminots de l’Inde. Il doit toutefois entrer dans la clandestinité car Indira Gandhi va imposer l’état d’urgence en 1975. A l’époque, Amnesty International informe de l’arrestation massive de syndicalistes. C’est le cas de le dire : il y eut quelque 30 000 arrestations de syndicalistes et de représentants de travailleurs.
La police emprisonne et torture son frère pour tenter de le localiser. En vain. Elle se rabattra alors sur une activiste extraordinaire, Snehalatha Reddy, aussi appelée Sneha, qui deviendra un symbole non seulement en Inde, mais aussi dans les milieux des militants Mauriciens. Suite aux mauvais traitements subis en prison alors qu’elle était asthmatique, Sneha Reddy allait mourir peu après sa libération. Sa fille, Nandana Reddy, a fait publier son bouleversant témoignage retrouvé dans l’agenda qu’elle tenait durant les huit mois qu’elle a été détenue sans jugement à la Bangalore Central Prison.
George Fernandes sera finalement arrêté en 1976, par rapport à la célèbre affaire de dynamitage dite de « Baroda ». Une histoire où, avec deux journalistes et un industriel, il se procure de la dynamite en vue de faire exploser des pans de bâtiments publics pour créer une psychose et contrer ainsi la répression d’Indira Gandhi. Un seul plan sera finalement exécuté, pour faire sauter une estrade quatre heures avant qu’Indira Gandhi ne donne une réunion à Varanasi !
Selon certains récits au sein d’Amnesty International, l’Allemagne, la Norvège et l’Autriche auraient mis en garde Indira Gandhi contre d’éventuels mauvais traitements envers Fernandes. L’accusé fut transféré à la prison de Tihar et finalement aucune charge ne sera retenue contre lui.
Ami de l’île Maurice…
George Fernandes est un dirigeant indien qui a eu pour l’île Maurice les plus hautes considérations sans que celles-ci ne reçoivent leur juste réciprocité. En effet, au sein du gouvernement d’Atal Bihari Vajpayee, c’est lui le stratège qui va définir la nature des relations de la Grande Péninsule avec le reste du monde.
Issu du monde syndical et ayant été engagé dans l’armée plus jeune, Fernandes connaît l’importance des réseaux. Avec Vajpayee, il va formuler la politique d’orientation diasporique et c’est ainsi qu’ne commission est mise sur pied en septembre 2000 sous la présidence de LM Singhvi. Le rapport de ce dernier sera adopté sans aucun amendement en 2002 et c’est ainsi qu’au sein du ministère indien des Affaires Etrangères, un département spécial sera crée pour encadrer la manifestation annuelle de Pravasi Bharatiya Divas (PBD), les Pravasi Samman awards, ainsi que le statut de Overseas Citizen of India (OCI) et celui de Person of Indian Origin (PIO).
Le deuxième niveau de réseautage est au plan de sa vision de l’informatique. Fernandes le syndicaliste comprend parfaitement que ses compatriotes engagés dans les affaires en Afrique y sont mal vus en raison de leurs abus envers la main d’œuvre locale. Avec l’informatique, il y a de nouvelles complémentarités possibles et il voit déjà les Mauriciens instaurer la présence virtuelle de l’Inde sur le continent.
Le troisième niveau de réseautage est au plan diplomatique : l’Inde veut obtenir un siège permanent au Conseil de Sécurité de l’ONU. Pour y parvenir, il faut donc une offensive diplomatique. Léopold Sedar Senghor, le président sénégalais, était le premier dirigeant africain à envoyer un contingent d’agents de la culture pour être formé aux multiples expressions artistiques indiennes. Fernandes entend donc renouer les liens avec ces anciens partenaires autrefois bien disposés ; et pour cela, il mise sur le bilinguisme des ministres mauriciens et se dit qu’ils vont exercer une influence pro-indienne au niveau des pays de la SADC et pousser jusqu’à l’Afrique de l’Ouest.
La stratégie de Fernandes est réglée comme du papier à musique. Et les circonstances semblent des plus favorablesVajpayee arrive à Maurice en 2000 où c’est Navin Ramgoolam qui le reçoit comme invité d’honneur pour la 33ème célébration de l’indépendance. En janvier 2001, c’est Jugnauth Père et Mère que l’on retrouve à Delhi. Anerood Jugnauth et sa délégation ont une réunion de travail avec Fernandes flanqué de Shri Kumar Panja, le ministre des Affaires Etrangères, et Shri Pramod Mahajan, le ministre des services informatiques.
Fernandes va vite déchanter : pour l’informatique, les responsables des renseignements indiens vont finir par réaliser que les Mauriciens sont incapables d’abstraction. Pour la géostratégie, ils s’aperçoivent très vite que faute d’une vision cohérente, le pays est incapable d’ambition. Au plan des affaires, ils sont trop arrogants, voire plus méprisants que les Indiens par rapport aux Africains typés. Au plan diplomatique, même blocage et, en outre, le bilinguisme mauricien c’est de la publicité mensongère !
Il y a pire : Fernandes, le seul ministre chrétien du gouvernement Vajpayee, réalise que le PIO n’a qu’un intérêt électoraliste dans la conception des membres du gouvernement Jugnauth. Au lieu d’inclure la population mauricienne au maximum, la carte PIO allait faire l’objet d’une promotion au sein des regroupements hindous dont le sectarisme exclut une vaste population métisse qui aurait pu tout aussi bien revendiquer une origine indienne. Pour George Fernandes, le rêve africain s’arrêtait là… il avait parié sur un canasson !
Joël TOUSSAINT