Comment plumer le Paille-en-Queue ?

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Temps de lecture : 6 minutes

En 2017, les pilotes d’Air Mauritius s’opposent à la direction qui les force à travailler dans des conditions extrêmes. Somas Appavou se montre intraitable lors des négociations collectives. Le 5 octobre, une douzaine de pilotes déposent des certificats maladie attestant de leur incapacité à voler. La situation provoque l’annulation des vols programmés. Pour Somas Appavou et Mike Seetaramadoo, alors son responsable des ressources humaines, il s’agit d’une fronde qu’il faut mater. Faisant fi de la compétence des médecins qui ont attesté des conditions de leurs patients, la direction va d’une part procéder à des suspensions et d’autre part recourir au Premier ministre pour faire expulser Patrick Hofman, responsable du syndicat des pilotes. Ils auront la tête du pilote Belge. Mais, qu’elle soit parvenue à s’imposer, la raison des plus forts était-elle la meilleure ? Il est peut-être temps que les Mauriciens découvrent la raison du plus faible ; la raison de celui qui depuis trois ans prédit la chute d’Air Mauritius. Pour Indocile, Patrick Hofman a consenti à prendre le temps d’une rédaction. Il nous livre un récit qui a la forme du mode-d’emploi qui aura servi à plumer le Paille-en-Queue.

Le Commandant Patrick Hofman, l’ancien responsable du syndicat des pilotes a été expulsé du pays. Depuis trois ans il prédisait la chute d’Air Mauritius, en se basant… sur la réalité des chiffres!
Dans le rétroviseur

Peu après les élections de 2014, un nouveau Chairman est désigné : Arjoon Sudhoo, ainsi qu’un Board hautement politisé. D’emblée, et en méconnaissance de la situation réelle de MK, le Chairman déclare vouloir agrandir et moderniser la flotte.

Exit Andre Viljoen et pendant quelques mois, MK se retrouve en vacance de CEO. Ce temps est mis à profit par le Chairman qui se transforme en nouveau PDG et dilue au travers de task forces (contrôlées majoritairement par Seetaramadoo) le pouvoir et les responsabilités incombant normalement au CEO dans un contexte de bonne gouvernance.

Arrive Megh Pillay. D’emblée il se rend compte que le système de fonctionnement de MK et les modifications opérées par Sudhoo aux prérogatives du CEO ne peuvent perdurer. Rappelons que c’est le CEO qui est ACCOUNTABLE et donc pourrait se voir appeler à répondre en tant que responsable d’agissements dont il ne serait pas à l’origine !

Il se rend également compte que rien n’est fait pour modifier la structure des coûts de la compagnie. Mais le plus grave est qu’il se rend compte que l’acquisition des A350 à un prix de leasing supérieur à la moyenne risque de mettre à mal les finances de la compagnie.

Au même moment, MK poste des profits records de plus de Rs. 1 milliard mais qui ne sont qu’un leurre. En effet, le profit engendré découle exclusivement de la baisse du pétrole sur le marché tandis que la structure des coûts reste inchangée et explosera suite à l’acquisition des nouveaux avions.

Megh Pillay alerta les autorités sur le fait que les bénéfices n’etaient dû exclusivement qu’à la baisse du fuel et leur recommanda les choses suivantes:

  • Une recapitalisation massive de MK
  • Une rationalisation de la flotte et des destinations avec un recentrage sur les marchés traditionnels de MK
  • Refonte totale du business model
  • Une renégociation des contrats de leasing à venir pour les A350

Il les informa qu’à défaut de le faire, MK serait en insolvabilité fin 2019. Et cela, même avec un baril de Brent à 50$ et un load factor croissant.

Mais MK venait d’engranger 1 milliard de bénéfices et, plutôt que de voir la réalité des faits et que ce bénéfice découlait exclusivement de la baisse du fuel sur le marché, on préféra y voir la matérialisation du 2ème miracle économique promis, et par extension du génie Jugnauth. Ainsi, les Sudhoo et consorts parvinrent à convaincre le PM que de plantureux bénéfices à venir, issus du corridor (autre fruit du « génie » Jugnauth), allaient générer un cash-flow énorme, suffisant pour payer les A350.

Megh Pillay était en passe de réussir à déverrouiller sans frais les contrats enclenchés par Viljoen. Il fut viré dans les circonstances que l’on connaît. Au lieu de renégocier les contrats A350 à la baisse, MK les signa finalement pour $ 1,2M/mois, escaladant à 1,4 M. Pire : Somas Appavou, arrivé après la confirmation des 350, parvint à convaincre le PM d’acheter deux A330-neo supplémentaires… Comment y est-il parvenu alors que les A350 n’étaient déjà pas remboursables ?

L’échec du « corridor et du Hub »

En l’absence de Megh Pillay, il y a eu aussi l’idée du couloir aérien entre Singapour et Maurice et la transformation pompeuse de SSR Airport en « Hub ». Une idée fumeuse sortant d’on ne sait quel esprit embrumé ! Le vol vers la Malaisie et Singapour s’effectuait traditionnellement en triangle et la majorité des passagers étaient à destination ou en provenance de Kuala Lumpur. MK décida d’opérer non plus en triangle mais par un passage obligé par Singapour tant à l’aller qu’au retour du vol sur Kuala Lumpur. Bref, un atterrissage supplémentaire et donc une rotation machine supplémentaire (influençant négativement le jalonnement des entretiens et la durée de vie cellule avion/moteurs)… pour ne drainer aucun passager additionnel !

Ce « corridor » était voué à l’échec avant sa mise en œuvre. En effet, TOUTES les destinations, tant en Asie qu’en Afrique, que MK se vantait de vouloir relier via son corridor à 2 escales obligées (Singapour et Maurice) étaient déjà reliées par des vols à UNE escale ou même SANS escale. Et ceci par des compagnies aux reins bien plus solides que ceux de MK !

Le marché chinois s’avérera une catastrophe, pourtant totalement prévisible. On vantait Maurice aux chinois comme étant « le Singapour de l’océan indien » et une île duty-free. Prétention funeste pour ces touristes qui comprirent bien vite l’arnaque.

En outre, l’absence de connexion rapide possible à Maurice renvoyait l’idée de « Hub » au rayon de la mégalomanie totale, vu la taille ridicule de la flotte de MK en comparaison à celle nécessaire au fonctionnement d’une structure Hub & Spoke. Pour la petite histoire, j’ai effectué des recherches avec des Chinois sur leur moteur de recherche et les vols directs de Chine vers Maurice n’apparaissaient que dans les dernières pages. Car, bien sûr, rien n’avait été fait du côté commercial pour faire en sorte que les vols de MK apparaissent en priorité.

En parallèle, afin de concentrer sa flotte sur le nouveau marché chinois, MK a délaissé ce qui faisait traditionnellement son Core Business et la source la plus importante de touristes pour Maurice : l’Europe. Un abandon au profit de la concurrence qui, bien entendu, ne se fit pas prier pour sauter sur l’occasion d’occuper les créneaux délaissés !

La sortie de Guangzhou (autre gouffre financier) aurait coûté quelques Rs150 millions. Bangkok annoncé, ouvert, vendu et… annulé à grands frais. La liste est infinie.

Mais rien ni personne dans un premier temps ne s’opposa à cette mégalomanie doublée d’une absence totale d’étude de marché et de faisabilité car tout cela s’inscrivait dans la prétendue « vision » de ceux qui allaient réaliser un deuxième « miracle économique ».

Avec le temps, la hausse du fuel, la dure réalité du corridor loin de générer les résultats escomptés et la lente désagrégation du marché chinois, le management se mit à réaliser qu’il avait mis MK dans une spirale de laquelle elle ne sortirait plus. Mais, il fallait maintenant honorer les contrats pour le renouvellement de flotte!

Le défi comptable

Parlons chiffres: En 2016, MK génère Rs 1 millard de profit. On a vu que ces profits ne sont dû exclusivement qu’à la baisse du cours du pétrole. Le fuel remonte et les revenus dégringolent (corridor, marché chinois, compétitivité ). Le leasing d’un 350 est de $ 1.2 M/mois (prix du marché : $ 900 000 – $1.1M, donc DÉJÀ MK paye plus cher!). En comparaison le leasing d’un A340 (que l’A350 est sensé remplacer à terme) est de $300K/ mois. Cela fait donc une différence de $ 900 pour un avion. Soit $1.8M pour deux. Total annuel: $21.6 M de coûts récurrents !

À ce prix, un rétrofit des A340 (inflight entertainement, WiFi, sièges) et même une consommation accrue de fuel ne nous amène pas à ce montant ! Mais garder les A340 et stopper les A350 ne colle pas avec les plans d’expansion irréfléchie de Sudhoo et consorts ; ça colle mieux dans la mégalomanie et la propagande autour du prétendu génie des Jugnauth.

A chaque présentation du bilan, les chiffres étaient « masqués » par la communication d’un nombre « record » de passager transportés. Oui, mais à perte, puisque les coûts sont totalement hors de contrôle. On vend à prix bradé et on accentue les pertes.

La presse est certainement complice dans la mesure où elle n’a jamais challengé les résultats financiers pourtant tellement révélateurs d’une descente aux enfers sans retour possible. Pourtant, il était tellement facile de lire (en petites lettres, certes) les choses suivantes dans la balance sheet: Engagement financier de plus de EUR 650 M dont 524 M rien que pour les operating lease des deux A330-neo et des deux A350.

Alors comment absorber ce coût supplémentaire ? Comment honorer cela avec, en 2018 déjà, des pertes déclarées de EUR 30 M ? Un gosse de 3 ans aurait immédiatement vu que MK ne générait même pas le cash-flow nécessaire pour payer ne fut-ce que le leasing des deux premiers A350. Pire, lorsqu’on sait que les quatre A350 suivants seront, non pas catégorisés en lease, mais inscrits dans les livres! Et à cela, on vient rajouter deux A330-neo !

Il faut que les gens comprennent que nous sommes dans une industrie qui, lorsqu’elle est gérée en bon père de famille, génère des marges bénéficiaires de maximum 3%! Pour MK avec un chiffre s de +/- EUR 500 M, 3% représente EUR 15 M…

L’action boursière de MK au 1er décembre 2014 était Rs 17.60. Tombée à Rs 8.00 AVANT la crise du Covid. Aujourd’hui rendue à Rs. 5. Quand on pense que MK ose me réclamer (dans sa plainte pour Rs.126 millions) Rs 81,8 M pour une prétendue fluctuation de l’action de Rs. 15.25 à Rs. 14.45 lors de l’annulation des vols en octobre 2017, ainsi que Rs 10 M pour « reputational loss », je suis curieux de voir ce que les actionnaires oseront réclamer au Board pour ses prouesses, avérées celles là, dans le même domaine !


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7 commentaires sur « Comment plumer le Paille-en-Queue ? »

  1. C’est le Captain Patrick HOFMAN (qui a réussi à s’intégrer parfaitement aux us et coutumes mauriciens et qui connaissait, mieux que quiconque, tous les recoins de l’île ) qui aurait dû être à la tête de MK. Mais, voilà, maintenant, lui, ne voudra pas être le dindon de la farce !

  2. ENFIN la vérité !!! Il faut avoir beaucoup de courage ! Merci !! Je transmets. Plus mauricien que Patrick, il y a peu !Mais il a fait entendre la vérité à une bande de sourds….. Dommage !

  3. On peut cacher les magouilles et les malversations… mais quand la réalité des chiffres remonte à la surface, on ne peut plus cacher la vérité… et ça ne peut qu’exploser au visage des magouilleurs.
    Il est temps d’arrêter cette politique de petits copains et de mettre de vrais professionnels à la tête de nos institutions. Bravo pour toute cette vérité Captain Rocker.

  4. FROM INFO GATHERED, THE SODHOO CLOWN HAS DISSAPPEARED, DESERTING THE TITANIC BEFORE IT SINKS. RUMOURS ARE THAT HE IS IN ENGLAND. HE SHOULD BE BROUGHT BACK AND HELD ACCOUNTABLE FOR HIS GROSS BLUNDERS THAT HAS CONTRIBUTED TO THE DEMISE OF MK.

  5. Avoir le courage de dire la vérité haut et fort n’est pas donné à tout le monde ! Bravo à Patrick Hofman qui est intègre et authentique, deux qualités qui ne semblent pas être reconnues par tous à Maurice mais qui le sont par ses connaissances et amis de Belgique.

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